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Sacrement du salut - La pastourelle de l’Évangile

Photo du rédacteur: Michel TeheuxMichel Teheux

16e dimanche du temps ordinaire - 21 juillet 2024

Évangile selon saint Marc (6, 30-34)


RAVENNE, ITALIE - Mausolée de Galla Placidia du Ve siècle - Mosaïque du Bon Pasteur (425-450).

C’est l’effervescence des grands retours, l’enthousiasme des missions accomplies : les apôtres reviennent, fiers du succès de leur prédication. La Parole de Jésus est devenue leur parole, leur message a la même efficacité que celui du Maître. Ils risquent bien de se laisser « emballer » ou de se prendre au sérieux ! Jésus les entraîne dans un lieu désert. Comme au temps des pères où Moïse avait mené le peuple dans les terres de solitude après la sortie du pays d’esclavage et de la traversée de la mer Rouge. Le temps du désert est celui des choses remises en place et du recentrement sur les choses essentielles.

 

C’est dans un endroit désert que les foules dispersées sont à nouveau rassemblées, peuple en gestation attendant un rassembleur, prémices de l’Église écoutant son Seigneur. L’espérance d’une Bonne Nouvelle rencontrant l’incommensurable attente des hommes ne peut souffrir de retard : « Jésus fut saisi de pitié parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. « En ces jours-là, disait le prophète, Dieu fera lever un berger pour son peuple. On lui donnera pour nom : Le Seigneur est notre justice ». Emmanuel, Dieu-avec-nous, Jésus, Dieu-sauve, un berger, le Seigneur-notre justice… Après tant de bergers qui avaient abandonné les brebis à leur sort malheureux ou les avaient conduits vers les pâturages de la crainte et de la peur, Jésus déclare : « Je suis le bon berger, le Seigneur-votre justice ».

 

Le salut donné n’est pas imposé : Jésus invite à le suivre. Le Sauveur ne fera pas le bonheur des hommes malgré eux : Jésus ouvre un chemin à parcourir. Trop de bergers sont devenus des tyrans, trop de guides sont devenus des oppresseurs. Il y a des bonheurs promis qui deviennent des malheurs injustifiables ; que de saluts sont devenus des fardeaux insupportables : règles à observer devenues desséchantes, paroles sensées libérées, devenues synonymes de culpabilisation mortifère. Jésus invite à le suivre parce qu’il est saisi de pitié.

Nous ne pouvons accepter recevoir notre salut que parce que celui qui nous l’offre se révèle à nous comme un « infini blessé ». Le Christ n’est pas l’incarnation d’un Dieu tout puissant accordant un salut qui ferait de nous des esclaves ou même des serviteurs : il incarne un Dieu qui a du cœur, un Dieu qui a pitié. Le mot suscite sans doute des raidissements aujourd’hui : nous lui ajoutons je ne sais quelle hautaine condescendance alors qu’il désigne la qualité d’un amour qui se lie au sort de l’autre. Avoir pitié, c’est compatir, pâtir avec, souffrir avec.

 

Le philosophe énonçait sans s’en rendre compte l’originalité du Dieu chrétien : Dieu a aussi son enfer, c’est son amour pour les hommes » ! (Nietzsche). Jésus fut saisi de pitié et il paiera le prix de cet amour : seul le berger devenu agneau pour n’être qu’un avec le troupeau peut revendiquer d’en être le troupeau sans que le troupeau ne voie en lui un oppresseur. Seul celui qui livre sa vie jusqu’au bout peut conduire des brebis à la source de vie. Car l’amour sauveur, « c’est de pouvoir être faible ensemble » (P.Valéry). « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis », dit Dieu.

 

Dieu enlèvera le troupeau aux pasteurs misérables qui ne l’ont pas respecté même en voulant faire son bonheur l il n’y a pas de salut sans amour et sans cœur. Le Royaume est semblable à un berger qui abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis pour celle qui est perdue, car Dieu est venu pour sauver ce qui était perdu. Il ne donnera pas d’autre signe que celui-là : l’Agneau ira à l’abattoir. Objet de mépris, rebus du peuple, il se fera plus misérable que les misérables. Comme le bouc que l’on chassait dans le désert après l’avoir symboliquement chargé du péché du peuple, on le poussera hors de la ville, chargé d’une croix. Il n’y aura pas d’autre signe du salut qu’un Pasteur abandonné par son troupeau au moment même où, dans le dénuement le plus extrême, il le rassemble. Le Pasteur s’en ira, abandonnant tout, pour que pas une brebis ne se perde.

 

« Je vais m’occuper de vous » ! atteste Dieu et le salut accordé n’est Bonne Nouvelle que parce que notre attention se conjugue à l’amour. L’Église n’est sacrement du salut que lorsque, fidèle à son Pasteur, elle se met humblement, passionnément au service des hommes en espérance du bonheur. L’Église n’est artisan du salut que lorsqu’elle aime le monde. En l’aimant, même jusque dans sa médiocrité, elle est déjà pour lui annonce de rédemption : même dans ses ombres et dans ses manques le monde est donc aimable ; même défiguré le monde porte l’empreinte irréversible de l’émerveillement de Dieu aux premiers matins : « Ah que c’est bon » ! Être porteuse du salut, pour l’Église, c’est d’abord de porter un regard d’infinie tendresse sur les réalités humaines. C’est, ensuite seulement, appeler le monde à être plus que lui-même pour être lui-même : le monde vaut plus que ce qu’il n’espère, il est capable de plus que tous ses rêves. « Élevons notre cœur », prie l’Église dans le monde, avec le monde, pour le monde. L’Église ne sera porteuse d’avenir et de promesse qu’en étant immergée dans la pâte humaine pour la soulever à la dimension du rêve de Dieu.

Car le monde est sauvé puisque Dieu n’a jamais cessé de l’aimer jusqu’à se perdre lui-même pour que le monde puisse connaître la passion qui lui est portée. 

 

Michel Teheux



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