15e dimanche du temps ordinaire - 14 juillet 2024
Évangile selon saint Marc (6, 7-13)
Nous aurions programmé des week-ends de formation, nous aurions écrit un condensé de tout ce qu’il fallait savoir et récapitulé les stratégies à mettre en œuvre. Et au moment du départ, nous aurions, comme des mères trop attentives, couru derrière ceux qui partaient : « N’as-tu rien oublié ? Fais attention » !
Rien de tout cela ! Amos n’était pas un prophète de métier, derrière son troupeau, tout à coup, il est saisi par Dieu : « Va, tu seras prophète » !
Rien de tout cela ! Jésus était un charpentier ; qu’est-ce qui le pousse, sinon l’appel de Dieu, à quitter Nazareth et à partir en mission. Rien de tout cela ! Les pêcheurs du bord du lac et les paysans des environs de Capharnaüm, devenus disciples de Jésus, sont envoyés sans rien emporter.
Pas de pain, pas de sac, pas de monnaie à la ceinture ! Pas de petit syllabus et pas de conseils. Rien sauf un bâton et des sandales, pour marcher et aller vers les autres. Il leur faut partir avec pour seul bagage la joie de ce qu’ils ont découvert et l’assurance que donne la foi.
Leur force, c’est leur découverte et leur soutien, c’est ce qu’ils vont partager. Pour tout bagage, la Parole ; pour tout bien, la Nouvelle ; pour seule assurance ce qu’ils donneront à entendre et à partager ! Leur honneur est d’être porte-parole. Leur mission : proposer à temps et à contretemps avec l’espérance que la parole semée ne leur reviendra pas sans avoir porté du fruit.
Porte-parole… c’est notre responsabilité.
Être porteurs d’une parole qui n’est pas nôtre, d’une parole entendue, accueillie et reçue, la parole d’un Autre. Nous, nous adoucissons les arêtes vives pour la rendre plus audible, nous circonscrivons sa provocation pour la rendre digestible et assimilable. Porte-parole, à une époque de pluralismes, lorsque toutes les idéologies se concentrent en un discours unitaire et neutre, nous avons à proposer une parole qui détonne, désarçonne, provoque. Mais avons-nous encore quelque chose à dire ?
Entre l’amour du monde qui est le sien et la séduction d’une parole qui le dépasse de partout, le prophète est l’homme du « oui » et du « non », tendu entre l’insertion parmi « les siens » et la contestation qui s’origine dans un jeu qui le dévore.
Porte-parole d’une parole autre, vivrons-nous l’inconfort de ceux qui sont « dans le monde, mais pas du monde « ?
Porte-parole d’une parole autre, mais aussi porteurs d’une parole qui ne nous appartient pas et destinée aux autres. La mission est inhérente à l’être même de l’Église et des chrétiens : elle n’est pas une tâche réservée à quelques-uns, ni une activité parmi d’autres de l’Église.
L’Église est missionnaire ou elle n’est pas. Porte-parole, l’Église se doit à elle-même d’être tournée vers le monde et elle se renierait en se complaisant dans une autre promotion romantique de sa sainteté. Porte-parole, l’Église est pour le monde, notre sanctification est dans l’exercice de notre ministère de témoin et non dans une conversation, fut-elle héroïque, narcissique.
Porte-parole, nous recevons la responsabilité de sortir de nos discours assurés, de nos comportements rassurants, de nos rites et de nos repères, pour que la Nouvelle qui nous a séduits se donne à entendre pour ceux qui en sont les destinataires premiers, les « autres », pour que l’Évangile qui nourrit notre existence devienne ferment de vie. Nous nous attachons peut-être trop à fignoler nos stratégies de mission et nos pédagogies pastorales, nous enveloppons notre bien dans de multiples emballages, des mots intangibles, des institutions qui sont souvent très loin des intuitions de leurs fondateurs ; les balises qui devaient orienter sont devenues des obstacles à franchir. Pour mieux bâtir le Royaume, nous avons pris le plus grand soin d’édifier les échafaudages, mais la construction est-elle encore fondée sur le roc de la Parole ?
Porte-parole… Pour la première fois, Jésus les envoie. Deux par deux. Parce que la Parole n’est pas leur bien personnel : elle n’existe qu’à devenir émerveillement partagé. « Béni soit Dieu, lui qui nous a choisi dès avant la création du monde » ! deux par deux pour se raconter la grâce qui les transfigure : leur mission ne sera donc pas une stratégie de recrutement, elle est l’autre face d’un mystique. Deux par deux pour qu’il soit manifeste que ce qui est annoncé est vivable. « Dieu nous a choisis pour que nous soyons ses enfants bien-aimés » : deux par deux, ils constituent les premières cellules de cet Amour prenant corps ; ils rendent l’Évangile crédible. Deux par deux parce que la Parole à annoncer est alliance pour susciter un peuple.
Porte-parole… Portés pour une parole qui les bouleverse et les convertis, ils sont devenus porteurs de l’annonce de la Bonne Nouvelle pour le monde. Les routes des hommes seront désormais leur domicile. Jésus les envoie en mission, bienheureuse sera l’Église qui n’aura que la route qui conduit toujours ailleurs pour affermir sa propre foi.
Michel Teheux