Mise en garde
- Michel Teheux

- 10 août
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19e dimanche du temps ordinaire - 10 août 2025
Évangile selon saint Luc 12, 32-48

« C’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra ».
Des ecclésiastiques se sont acquis une renommée par la mise en scène qu’ils montaient lorsqu’ils parlaient de cette « visite » du Seigneur. Ils dressaient Jésus comme un épouvantail et le déguisaient en père Fouettard. La crainte, prétendaient-ils, est le commencement de la sagesse.
Oh, contradiction : le retour tant attendu – rappelez-vous la prière insistante des premiers chrétiens et le cri de l’Apocalypse : « Viens, Seigneur Jésus » ! – est devenu objet de crainte ! Le Maître s’absenterait-il pour revenir à l’improviste et trouver un économe inactif ?
Surviendrait-il comme à plaisir pour juger et punir ?
La mise en garde de l’Évangile est une mise en demeure parce qu’elle est une mise en présence. Mise en demeures, l’Évangile est bien une provocation, il nous tire donc en avant, nous appelle à devenir, voire à changer. L’Évangile est bien une conversion et une mise en garde : « Soyez témoins des temps nouveaux » ! Mais il est une mise en demeure parce qu’il est une mise en présence. L’appel à veiller caractérise la responsabilité du disciple parce qu’il a découvert dans l’émerveillement la grâce de la lumière : put-on rester dans la nuit lorsqu’on a vu poindre l’aurore ? Peut-on ne pas prendre soin de la maison lorsqu’elle appartient à la famille ?
Dans Electre de Jean Giraudoux, une femme demande : « Comment cela s’appelle-t-il quand le jour s’élève dans le froid, que tout paraît gâché, saccagé, mais que pourtant l’air se respire ? »
Electre la renvoie au mendiant, car ce sont les pauvres qui savent ces choses-là, et le mendiant lui répond : « Cela porte un très beau nom de femme. Cela s’appelle l’aurore ».
« Cela s’appelle l’aurore » ! L’Église serait le château endormi des contes de Perrault, elle n’aurait rien à dire au monde d’aujourd’hui si elle ne vivant de l’invitation à scruter la nuit. Insidieux le vent a pu maintes fois éteindre notre lampe.
Inlassablement nous avons rallumé la lumière qui repousse la nuit. Nous veillons, nous travaillons, vaille que vaille : c’est quand la nuit dure sans avancer qu’il faut susciter le jour.
En tenue de service, attentifs aux moindres signes d’espérance, la lampe sans cesse rallumée pour faire savoir à la nuit qu’elle ne l’emporterait pas avec ses ruses de mort, nous devançons l’aurore. Le Maître, après avoir lutté lui aussi contre les ténèbres qui le retenaient prisonnier dans la nuit du tombeau, à pris pour nous le tablier de service, il a dressé la table et a rompu le pain pour nous donner accès auprès de Dieu.
« Veillez !... Oui nous veillerons et nous tiendrons le coup ».
Nous tiendrons debout, à peine éveillés, pour voir poindre en notre temps les signes avant-coureurs de demain : des vies livrées tant bien que mal à l’amour, des fraternités ébauchées laborieusement, des solidarités nouées sommairement, des justices qui se cherchent. Oui nous tiendrons le coup pour cette seule raison : que serait le matin s’il n’était enfanté dans la nuit ? Au nom des parents qui enfantent dans le risque, au non des jeunes qui ne font pas comme tout le monde, au nom des marginalisés à cause de leur aventure non conforme, au nom de tous ceux qui se sont engagés, nous tiendrons le coup et ferons que notre foi l’emporte sur toutes nos bonnes raisons de nous reposer, de nous endormir ou même de mourir.
« Veillez’… Celui qui vient vous surprendra en plein travail ».
Il viendra quand tant de choses seraient encore à faire. Il viendra et peut-être, ce jour-là, vous serez-vous endormis comme l’enfant ivre d’avoir trop inventé et qui s’est épanoui en déposant ses jouets comme on dépose les armes. Il viendra, ne craignez pas son retour : il vous réveillera, lui, dans le pays du Jour Nouveau ; il est, lui, le Veilleur qui a passé la nuit pour renaître au matin : il est le vainqueur de Pâque
Michel Teheux



