Évangile de saint Matthieu 13, 1-9
Le semeur est sorti pour semer. Jésus est sorti du sein de Dieu pour jeter à tous vents la Bonne Nouvelle, l’Évangile de vie.
Promesse de printemps, mais l’été pourrait bien amener des désillusions : 4 à 6 versets décrivent les semailles comme un échec ! Comment accepter qu’il y ait tant de semence perdue ?
Les promesses avaient relevé l’espérance des hommes : un souffle de jeunesse traversait l’Évangile. Mais les lendemains n’ont pas chanté. L’égoïsme qui dessèche l’amour, la haine et l’orgueil, qui étouffent le désir de fraternité et de justice, la souffrance qui reste toujours un scandale et une peine, vous connaissez ?
« Notre monde connaît les douleurs d’un enfantement… » La tentation est forte de désespérer ou d’aménager notre espérance et de la réduire à des espoirs raisonnables. Elle est venue l’heure pour le semeur de se recycler et de jeter son grain sur la bonne terre seulement.
Le semeur est sorti pour semer, Jésus est sorti de la maison pour entretenir ses disciples des affaires du Royaume. Geste généreux : Dieu ne réserve pas sa grâce ; que deviendrait la terre rocailleuse si jamais elle n’était labourée et ne pouvait espérer un jour voir se lever une moisson dorée. Geste d’espérance : Dieu connaît les ressources cachées des terres arides et il connaît encore plus la puissance de vie emprisonnée dans le grain minuscule qui se déchaînera une fois le grain jeté en terre. Dieu connaît la joie de Pâques déjà inscrite dans le sillon sanglant du Golgotha. Oui, pour que la moisson réussisse, le Semeur deviendra Semence et la grâce de Dieu deviendra abandon et offrande : Jésus se laissera enfermer dans le tombeau pour que se lève la moisson de Pâques. Le semeur est sorti pour semer, il n’apprendra pas les calculs savants des semailles programmées, il jettera le grain à profusion.
Geste noble et lourd d’espérance du semeur qui aime sa terre. Et Dieu s’y connaît en terre : déjà au premier matin il la pétrissait amoureusement pour qu’elle donne son fruit le plus beau, l’homme à la ressemblance de Dieu.
La semence semblera toujours infime, perdue dans l’étendue du champ. Et pourtant, un jour, on ne verra plus la terre : l’épaisseur dorée de la moisson révélera la force de la vie aujourd’hui enfouie.
« Notre monde connaît les douleurs de l’enfantement… » Le temps des semailles est vive espérance des moissons. Lorsque des hommes et des femmes reconnaissent dans leur peu de foi que Dieu fait toutes choses nouvelles, lorsque nous confessions, sans très bien comprendre, que la vie aura le dernier mot, qui ne serait convaincu de la dérision de cette profession de foi en face de tant d’injustices, de souffrances, d’iniquités qui sont le lot quotidien de notre temps et le fruit amer de tant d’efforts réduits à néant ? Qui ne dira que nous espérons en dépit du bon sens et que nous travaillons à perte ?
Et cependant, dans ces gestes de vie, dans cette espérance patiemment entretenue, dans cette amoureuse patience qui nous fait nous tourner vers le temps des moissons, nous prétendons que c’est la Pâque victorieuse qui déjà est à l’œuvre.
Lorsque des hommes et des femmes donnent corps à l’amour, lorsque nous faisons nôtres les choix de Jésus, qui pourrait ignorer l’insignifiance de ces témoignages en face de l’injustice érigée en système, de l’égoïsme toujours renaissant dans nos vies individuelles et dans nos relations sociales ? Et cependant dans ces vies traversées par un peu d’amour s’entrevoit déjà ce que peut être la victoire de l’amour lorsqu’il n’est que l’amour.
« Notre monde gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore » ! Nous pourrions nous laisser écraser par les dégradations du monde et la stérilité de notre terre : la sécheresse parait avoir raison de la semence. Oui nous serions en droit, et ce serait raisonnable, de conclure que « rien ne va plus » ! Le semeur est sorti pour semer et déjà il entrevoit le sillon sanglant du Golgotha, les foules l’abandonnent et bientôt les disciples le trahiront : il y a de quoi perdre cœur. Et cependant le Semeur continue à jeter le grain : au-delà des gémissements de l’enfantement, il voit déjà la naissance de Pâques.
À chaque épreuve du temps, il suffit que l’Évangile soit accueilli par des cœurs généreux et patients pour que renaisse le bonheur des hommes et la joie de Dieu.
« Car la pluie ne retourne pas au ciel sans avoir fécondé la terre » ! Une terre est bonne si elle garde en elle l’espérance de la moisson !
Michel Teheux