3e dimanche de Carême - 3 mars 2024
Évangile selon saint Jean (Jn 2, 13-25)
« Il mena son peuple au désert, car éternel est son amour… »
Ainsi chante le psaume pour nous initier aux merveilles de Dieu.
Le désert, cette terre aride, désolée, stérile.
Le désert, lieu où l’homme, confronté à lui-même sans pouvoir se raccrocher à d’illusoires sécurités, est mis en face de son désir.
Le désert, terre des commencements, car c’est là, dans ces étendues desséchées que les fils d’Israël apprendront ce qu’ils sont pour Dieu – un peuple – et qu’ils découvriront la fécondité de la Parole de leur Seigneur.
Oui, c’est là, au cœur de cette aventure qui mène l’homme de l’esclavage d’Égypte à l’installation en Terre Promise, c’est là, durant ces quarante années de pérégrinations que les fils d’Israël passeront de l’oppression au service, de la déchéance à la liberté.
Et pour accompagner cette marche qui les conduit à l’existence, Dieu leur donne dix commandements.
Apparente contradiction pour nous qui considérons les commandements comme autant de contraintes, d’interdits, de devoirs.
Il nous faut réapprendre le sens de cette loi de l’Alliance. Qu’elle soit donnée dans cette pérégrination d’Israël qui les mènera de l’esclavage à la liberté doit nous éclairer. La loi de l’Alliance est la conséquence de l’élection.
« Tu seras mon peuple et je serai ton Dieu, observes mes commandements ».
La loi n’est que l’envers de cette révélation : nous appartenons désormais à Dieu.
Car telle est bien la loi : non pas l’arbitraire d’un Dieu monarque absolu, mais le cadeau d’un Dieu miséricordieux ; elle est l’autre mot de la grâce.
L’observation des commandements ne sera pas autre chose que le signe visible d’une élection qui est celle de l’amour.
La loi n’a donc pas de sens en elle-même, elle ne vaut que dans le rappel, la révélation de la délivrance. Elle tient sa force de la confession de foi : Dieu nous a délivrés, il est notre Sauveur. Nous n’obéissons pas à Dieu pour être sauvés, nous lui obéissons parce qu’il nous sauve.
La loi est donnée en vue de la liberté des fils engendrés par la passion de Dieu pour les siens.
Nous sommes loin d’un code qui asservit et enferme l’homme dans sa culpabilité pour en faire un accusé possible. Les fils d’Israël n’auront pas à vivre dans la crainte et le scrupule : leur obéissance sera le sacrement de leur volonté d’entrer dans l’alliance offerte.
Lorsque Dieu dit aux siens : « Tu dois », l’impératif surgit de l’histoire et de la grâce qu’elle incarne, il en est l’autre face, celle de la réponse et de la liberté de l’homme.
La loi n’est pas en fin de compte, un impératif, elle ne se réduit pas à un commandement, elle tend à faire participer son peuple à l’Alliance offerte.
Le terme même de « Loi » est insuffisant pour marquer la plénitude du mont hébreu « tora ». Torah, en hébreu, ce n’est pas l’ordre, mais l’orientation ; ce n’est pas la loi, mais la Voie, la route sur laquelle un cheminement est possible vers un but, la communion.
Lorsque les fils d’Israël seront aux portes de la Terre Promise, Moïse leur redira une dernière fois les exigences de Dieu : « Sais-tu, Israël, ce que l’Éternel te demande « ? (Dt10,12-22).
Qu’est-ce que l’Éternel te demande de lui donner ? : le ton est à la prière plus qu’à l’obéissance.
Bouleversement de l’histoire religieuse des hommes : Dieu prie l’homme de s’engager dans la voie de son Alliance !
Que Dieu aime sa créature, qu’il soit son Père, son protecteur, son patron, c’est ce que des spirituels de l’Antiquité avaient pressenti, sinon clairement exprimé. Mais que les hommes soient invités à aimer Dieu, cela ne pouvait être que le fait de Dieu de la Bible. Tout se passe comme si Dieu révélait, dans la Torah, l’exigence de l’amour, parce qu’il a besoin, lui, de trouver une réponse en retour de sa grâce, d’être aimé.
Voilà le mystère de la loi et du commandement : il ne s’agit guère d’une exigence aveugle, mais de la sublime prière née de la pauvreté de Dieu : Dieu quémande notre amour.
Nous avions voulu commencer avec Dieu : donnant, donnant, application forcenée, quelques fois héroïques de loi exigeantes et, en retour, assurance du salut ; nos tables de commerçants sont renversées par l’exigence suprême de Dieu : aime comme je t’aime en Jésus, jusqu’à tout donner !
Un seul mot dit tout cela. Il est comme le condensé de l’Alliance et en tous les cas il est la vraie mesure des commandements : la loi n’est pas une prescription, un devoir ou un règlement, elle est un attachement.
Michel Teheux