Évangile selon saint Matthieu (Mt 2, 1-12)
Qui sont-ils et d’où viennent-ils, ceux qui s’avancent vers l’Enfant aujourd’hui ?
Ils viennent du fond des âges, des hommes qui s’interrogent sur le sens de leur vie, qui recherchent une espérance.
Regardez, ils s’avancent, ils viennent de leur désert et de leur solitude ; ils sont trois, un noir, un jaune, un blanc, prétend-on, ils résument toute l’humanité.
Ils cherchent un roi de paix réalisant l’impossible : la justice, la tendresse entre les hommes. Ils cherchent une signification à l’aventure humaine, des sages en quête de raison de vivre. Ils s’interrogent sur cet effort gigantesque de l’humanité qui s’appelle religion, prière, Dieu.
Peut-être se demandent-ils non seulement si c’est vrai, mais aussi à quoi ça sert ?
Ils viennent du fond des âges et ils sont tellement d’aujourd’hui !
Ils sont l’humanité d’aujourd’hui en quête d’un avenir.
Ils sont les peuples en recherche de paix, les savants poursuivent la vérité, les amoureux en quête de communion de fidélité, les poètes en recherche de beauté, les foyers en quête d’unité, le monde en recherche perpétuelle de l’harmonie, de vie ensemble, d’un but. Ils sont la part la plus profonde de nous-mêmes qui aspire à l’éternité, à la transfiguration, à la joie de la communion.
Ils arrivent de loin. Et sur leur chemin, ils rencontrent Israël et son histoire.
Un peuple parmi les autres, avec une tradition devenue livre sacré.
Ils interrogent les gardiens de cette tradition, les témoins de cette alliance.
Ceux-ci ne font que répéter ce qu’ils ont appris, le projet éternel de Dieu et l’attente de la manifestation du salut. Sans doute oublient-ils d’interpréter les signes et ne voient-ils pas que tout s’accomplit aujourd’hui. Mais ils disent ce projet d’alliance de Dieu, son désir de communion avec les hommes et c’est l’essentiel : ils sont témoins que l’aventure humaine a un sens, une finalité. Ils donnent leur trésor à ceux-là qui viennent les bras chargés de présents.
Ils arrivent de loin pour entendre une parole qui ressuscite leur espérance, ravive leur recherche.
Sur leur chemin, ils trouvent l’enfant.
Un signe à recevoir. L’inattendu à accepter. La folie qui devient sagesse. Ils s’attendaient à voir un roi, ils trouvent un enfant. Ils espéraient une manifestation de Dieu et ils doivent se convertir à son épiphanie dans la dérision, l’humilité d’un petit d’homme couché dans une mangeoire.
Mais déjà tout est menacé. Les traquenards d’Hérode les obligent à partir.
Leur vie se passera sur les chemins. Les trois rois redeviennent nomades.
Une étoile à nouveau s’est allumée en leur ciel pour les guider par d’autres chemins : l’écho de la parole-promesse et la mémoire du visage contemplé quelques instants.
La certitude d’avoir trouvé le sens de leur vie et d’avoir entrevu l’accomplissement de toutes choses leur permettra de marcher encore, à nouveau, d’aller par d’autres chemins, accompagnés par cette lueur si fragile aux éblouissements trompeurs.
Ils venaient de loin, du fond des âges…
Et ils nous sont si proches, si contemporains…
Tellement que nous n’avons pas de mal à nous reconnaitre en eux ; Chercheurs de sens et en quête d’espérance, nous entendons nous aussi répéter les Écritures et l’écho d’une Parole qui nous dit le projet de Dieu.
Nous aussi nous trouvons sur notre chemin l’Enfant désarçonnant folie et scandale de dieu se liant à notre devenir-homme.
Et nous aussi devons repartir par d’autres chemins avec dans les yeux seulement la lueur de notre découverte pour affronter à nouveau l’épreuve.
Notre eucharistie n’est-elle pas cette halte à Bethléem ?
Nous y venons avec nos recherches, nos aspirations, nos questions.
Nous y entendons redire les Écritures et nous y découvrons Dieu manifesté dans un enfant, un homme de Nazareth, un prédicateur ambulant, le Crucifié du Golgotha, un Dieu dérisoire offert dans un peu de pain.
Et notre eucharistie nous donne de marcher à nouveau, par d’autres chemins.
Car telle est bien l’ouverture du récit des mages : ayant trouvé le Sauveur, ils sont renvoyés sur la route, ils n’ont pas d’autre vocation que d’être nomades.
Nous désirerions nous réfugier à Bethléem, dans une adoration qui nous éviterait d’oublier Hérode et ses projets cruels, le massacre des Innocents et les pleurs de souffrance qui montent de la cité des hommes.
Mais l’étoile nous appelle et nous tire dehors. Il n’y aura pas d’autre adoration que notre vie nourrie par ce moment de communion.
L’Église des mages est une Église de grands vents, vivant au rythme des recherches des hommes sans autre assurance que d’avoir, un jour, découvert l’Enfant.
Et cela seul change sa vie et sa route.
Michel Teheux