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Photo du rédacteurMichel Teheux

Il voulait voir

Dernière mise à jour : 18 juin

2e dimanche de Pâques - 7 mars 2024

Évangile selon saint Jean (20, 19 - 31)


Ils avaient peur, les disciples. La porte de la salle où ils étaient réunis était fermée.

Barricadés dans leur désarroi et leur tristesse, anéantis par leurs rêves détrompés, ils avaient cru en vain.

 

Il y eut alors ce bouleversement ! On ouvrit les fenêtres pour retrouver la réalité, celle de la violence toujours lancinante, celle de la contradiction qui met à mal l’espérance de lendemains chantants. On fit entrer le monde, avec sa médiocrité dans la salle haute : de refuge illusoire, elle devint caisse de résonance des espoirs et des craintes des hommes. On ouvrit les portes et un grand souffle engendra des croyants : la salle haute devint le Cénacle de l’Église.

 

Pour qu’elle naisse, il fallait oser la vie ; « C’est avec une grande force que les Apôtres portaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus », ainsi parle le livre des Actes des Apôtres. En vagues successives, la rumeur atteindra tous les hommes, tous les âges. Pour qu’elle traverse le temps, il fallait sortir : il n’y a d’Église que sur les chemins.

 

Lui, l’absent, il voulait voir ! Constater, enregistrer, pour être certain. Démontrer pour ne pas se tromper, pour ne pas être trompé. Thomas voulait voir.

 

Comme Marie-Madeleine qui, dans le jardin, voulait enserrer le Seigneur et s’entendait dire : « je dois aller plus loin » ! Voir c’est autre chose qu’enregistrer froidement une réalité neutre, desséchée. Voir, c’est regarder, laisser les choses descendre en soi, prendre position, se situer.

Thomas devra apprendre que voir ne laisse pas indemne et qu’en regardant on est toujours transfiguré. Il voulait voir et il devra accepter d’être questionné. Il devra devenir voyant, croyant. « M’aimes-tu » ? Il n’y a d’Église, fondée au Cénacle que celle qui préfère les questions aux réponses, l’humilité d’un acte de foi à la démonstration dogmatique. Église de « Veux-tu ? », de « Cherche, cherche encore, cherche toujours ! »

 

Thomas voulait voir. Il voulait se raccrocher à ce qu’il avait connu de Jésus. En quelque sorte, récupérer le corps de Jésus.

Certes la foi est toujours enracinée dans le témoignage de ce qui a été expérimenté (« vous savez ce qui s’est passé », rappellent les Actes des Apôtres) : personne n’invente Jésus. C’est bien le souvenir de l’homme qu’elle a aimé qui pousse Marie-Madeleine vers le tombeau et lui interdit de de résoudre à ce qui, pourtant, lui paraissait irrémédiable, la mort de son espérance.

 

Thomas voulait voir… Il lui faudra découvrir que voir c’est croire. Seuls le « je t’aime » ou le « je crois « permettent de découvrir la réalité de ce qui est révélé dans le « nous avons vu et nous vous annonçons ».

Thomas aurait désiré pouvoir récupérer la présence de Jésus : « Il est ici » ou « il est là » et voici qu’il doit découvrir que, ressuscité, Jésus entretient avec tout être une nouvelle relation : les frontières de sa personne sont comme dilatées. Le vrai croyant c’est le croyant : sa foi le conduira, non à constater la résurrection de Jésus comme un fait du passé (il est ressuscité »), mais à affirmer « il est vivant », vivant aujourd’hui. Le voyant, c’est le croyant attestant que toute réalité humaine est désormais sous la mouvance du 1er des Vivants.

Non pas une réalité idéalisée, mais la dure réalité d’aujourd’hui. Thomas verra le corps du Ressuscité, mais ce sera bien un corps marqué par des cicatrices des clous et d’une plaie restée ouverte.

 

Il n’y a d’Église fondée au Cénacle que celle qui au lieu d’enserrer le corps de son Seigneur est appelée à le conduire.

Thomas voulait voir. Il a vu. Il est devenu Apôtre fondant une Église de croyants. De vivants. 

 

Michel Teheux




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