top of page

« Il nous a conduits dans ce lieu… »

Photo du rédacteur: Michel TeheuxMichel Teheux

1er dimanche du Carême - 9 mars 2025

Évangile selon saint Luc 4, 1-13



« Interroge les temps anciens, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre ; est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil » ? (Dt 4). Aux interrogations du peuple qui doute de son avenir, aux désespérances des fils d’Israël qui ont vu leur existence malmenée par les bouleversements de l’histoire, voici la réponse qu’apporte la foi séculaire de la Bible : regarde ton passé, découvre la fidélité de Dieu dans l’Alliance qu’il a nouée avec tes pères, aujourd’hui, apprends qui est ton Seigneur et le Maître de l’histoire des hommes.

 

Affrontés à l’épreuve du temps, à la lente et pernicieuse érosion de nos convictions, aux déments que la vie apporte jour après jour, à nos choix les plus fondamentaux, il n’y a que cette alternative : raviver notre mémoire collective, ecclésiale, parcourir à nouveau cette longue allée de témoins qui nous atteste encore et toujours que la voie vers la terre promise est praticable.

 

Lorsque notre foi est mise à l’épreuve du temps, la liturgie nous invite à nous tourner vers notre guide et notre sauveur, Jésus, le Christ. Et c’est méditant sur sa victoire au désert que nous pouvons relever la tête.

 

Jésus fut conduit au désert par l’Esprit. Quarante jours à l’image de sa vie, vie de nomade, de pèlerin en quête d’infini jusqu’à ce que vienne l’ultime combat, la dernière tentation qui le conduira à l’agonie de Gethsémani au feu de la résurrection. Jésus s’en va au désert.

Autrefois, le peuple en marche y avait pérégriné vers la terre de la promesse. Jésus s’en va au lieu des origines, au lieu où Dieu rassemble les tribus dispersées, échappées de l’esclavage égyptien. Il va au lieu des épousailles, où les pécheurs étaient convoqués par les prophètes pour retrouver la grâce de la première fidélité.

 

« Parce qu’il mettant sa foi en Dieu, Abraham partit, et cela lui fut compté comme justice » - « Notre Père était un araméen errant ». Il faut se souvenir pour retrouver la joie première de la foi : la vérité de notre engagement se fonde sur la mémoire de l’histoire sainte voulue par Dieu. Et cette histoire nous dit que Dieu appelle comme il appela Abraham : que Dieu sauve comme il libéra les fils d’Israël : au désert, le peuple pérégrina durant quarante ans avec, pour seule assurance, la conviction que Dieu l’arrachait à l’esclavage et à la mort, et le conduisait vers la terre de liberté et de la promesse. 

 

Au désert de la tentation commence le chemin de la croix. Et ici commence la résurrection ! Jésus, interpellé par le tentateur, celui que la Bible appelle « le diviseur », se laisse tenter par Dieu et accepte d’entrer en alliance. Le « non » radical qui inaugure sa vie publique se répercutera par la suite : il dira « non » à sa famille qui essaie de le retenir et de le ramener à plus de raison ; « non » à Pierre qui refuse le chemin de la passion ; » non » à ceux qui tentent de faire de lui un interprète de la loi, un juge des causes difficiles, un libérateur national ; « non » à tant de choses prises pour des absolus ; « non » à la loi sans l’esprit, au sabbat sans la liberté, aux pouvoirs qui abaissent l’homme.

 

Lorsque notre foi est mise à l’épreuve du temps, de la tentation du repliement sur nous-mêmes et de l’enfermement dans nos désirs à la petite semaine, la liturgie nous invite à nous tourner vers celui qui, aîné d’une multitude de frères, a parcouru le même chemin.

C’est en méditant sur sa victoire au désert que nous pouvons relever la tête. Parce qu’il a réussi l’épreuve de sa vie, nous pouvons accomplir le même passage. Plus encore : nous apprenons que c’est l’épreuve de la vie qui est le lieu de notre foi, car c’est au désert que le Christ a montré son visage de Fils. Nous n’avons pas à fuir l’épreuve du temps puisque c’est là, dans sa vie épousée, que, soutenus par notre mémoire, nous accédons à la terre promise et deviendrons ce que nous sommes, des fils.

 

Au seuil de ce carême, frères et sœurs, nous voici convoqués au désert. Pour un combat. Pour nous laisser tenter par Dieu. Il nous faudra, durant quarante jours, nous détourner des chemins proposés par la sagesse du monde, regarder les témoins de la foi qui, par leur choix, ont donné chair à l’appel de Dieu, parcourir cette longue allée jalonnée par ces hommes et ces femmes qui ont fondé leur vie sur l’alliance proposée par Dieu. Notre foi baptismale, renouvelée en la vigile pascale, commence par un refus. Il nous faut dire un certain nombre de « non ». « Non » à une foi qui serait une certitude acquise une fois pour toutes. « Non » aussi à une foi qui ne serait qu’un sentiment vague et pieux. « Non » à une fois qui excommunie les autres. « Non » à une foi qui se renie elle-même sous des apparences de tolérance. « Non » à une foi qui serait sans prise sur la vie, mais aussi à une foi qui se bornerait à sacraliser des options humaines.

 

« Dieu nous a conduits dans ce lieu, il a vu que nous étions pauvres et il nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel ». Telle était la confession de foi de nos pères dans la foi avant d’entrer en Terre Promise ; elle fondait l’invitation à rendre grâce et à offrir les prémices des fruits de cette terre.

 

Jésus fut conduit au désert. Il nous convoque à sa suite. Pour dire « non » et donc pour pouvoir dire « oui ». Oui à la confiance, à l’espérance, à la conversion, au recommencement, à la vie. C’est-à-dire « oui » à notre condition baptismale, à notre condition de fils. Oui, nous irons au désert pour nous laisser tenter par Dieu.

 

Conduits en ce lieu pour nous mettre à la suite de celui qui nous précède, nous serons nous aussi invités à rendre grâce en offrant le pain devenu son corps vivant et le vin devenu le sacrement de l’Alliance.

 

 

Michel Teheux



©2018-2025 Unité pastorale de Huy

bottom of page