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Il dansera pour toi !

Photo du rédacteur: Michel TeheuxMichel Teheux

Dernière mise à jour : 22 déc. 2024

3e dimanche de l’Avent — 15 décembre 2024

Évangile selon saint Luc 3, 10-18



Sur les bords du Jourdain, qui serpente le Liban à la mer Morte, humble rivière qui sépare pour les unir la terre de la Bible et les hommes d’au-delà, voici qu’un homme est apparu.

Il se nomme Jean, Johânah, Dieu-qui fait-grâce.

À l’extrême limite du pays où coulent, selon les promesses de l’Ancient Testament, le lait et le miel, il a convoqué la foule de ceux qui se croient captifs de leur péché, de leur faiblesse, ces hommes et ces femmes qui baissent la tête devant la médiocrité de leur vie, en laissant tomber les bras devant un monde trop dur, entravés par une vie qui ne leur appartient plus. Jean a convoqué ces foules d’hommes et de femmes si peu libres, si peu libérées, au bord du Jourdain, à l’endroit même où, autrefois, tout un peuple, échappé d’Égypte avait franchi la frontière d’une terre promise, terre de liberté.

 

Serait-ce-dire que les promesses anciennes vont se renouveler ?

C’est un souffle d’espérance qui a porté vers le Jourdain, ces malheureux !

 

Malmenées, elles le furent, ces promesses ! Et la Bonne Nouvelle qui traverse toute l’histoire sainte n’avait rien d’évident. Il fallut la grâce des visionnaires pour que Sophonie, avec une certitude qui puise ses racines dans la foi, provoque ceux qui se croyaient abandonnés en des admonestations qui sont proches du rêve : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate des ovations, Israël ! » C’est à un peuple écrasé, dont l’existence ne tient qu’aux compromis et aux compromissions avec les grandes puissances expansionnistes, c’est à un petit peuple survivant et toujours menacé qu’il s’adresse.

 

C’est la même provocation qui nous réveille aujourd’hui !

 

Menacés, nous le sommes ! Paix qui n’est souvent qu’un armistice précaire et trêve provisoire, justice qui n’est qu’un équilibre fragile d’exploitations, solidarité qui n’est qu’une conjugaison d’intérêts si souvent remise en cause.

L’homme reste un loup pour l’homme.

Et s’il nous est arrivé de rêver de liberté possible lorsque les murs de la honte ont été mis par terre, les nationalismes résurgents nous ont ramenés douloureusement à la réalité, si nous avons pu croire qu’un dialogue Nord-Sud pouvait s’établir à la faveur d’une crise mondiale, il nous est vite apparu que le front uni des nations cachait des intérêts partisans.

Et que dire de notre vie personnelle, toujours reconduite au train-train quotidien.

 

Comment pouvoir entendre les admonestations de Sophonie et pousser des cris de joie ? Comment accepter l’ordre de Paul : « Laissez-moi vous dire et le redire : soyez dans la joie ! ».

 

Nous le pouvons, et le devons, parce que c’est du cœur même de notre exil que nous parviennent ces invitations.

Sophonie n’est pas un poète doux rêveur, et Paul est affronté aux questionnements des premiers chrétiens devant le retard du Retour du Seigneur. Nous le pouvons et le devons parce que c’est dans le désert que Jean-Baptiste convoque les foules en mal d’espérance.

 

La liturgie ne nous arrache pas artificiellement à nos préoccupations.

Elle n’entretient pas des rêves démobilisateurs et des illusions trompeuses.

Elle a, au contraire, une puissance de révolution inouïe.

Elle atteste que la vie est sauvée et révèle la dimension d’éternité de certains gestes qui, pour le monde, sont trop modestes pour être remarqués.

 

Elle nous dit que Jean-Baptiste se lève dans le désert aujourd’hui encore.

L’homme de Dieu, elle le découvre dans les mains qui se tendent pour relever celui qui est tombé, dans les yeux de l’amour contemplant la bonté, dans l’humble joie des affamés de vérité.

La liturgie donne écho aux promesses de Sophonie en redisant notre vocation à l’espérance et en révélant la force révolutionnaire des gestes courageux qui lui donnent corps en s’inquiétant des jeunes, des travailleurs, des émigrés, des sans-voix qui sont trop souvent des sans-droits.

 

« Soyez toujours dans la joie ! »… Ainsi donc la joie est un devoir, une obligation et une tâche.

La joie de l’Évangile est une obligation parce qu’elle est aux antipodes du sentiment, elle n’est contingente à nos états d’âme ou à notre optimisme : elle trouve sa source dans la révélation que notre monde est traversé par une promesse.

Elle est une tâche puisqu’elle est action : « elle s’identifie avec tout ce qui libère l’homme et l’arrache à sa médiocrité.

La joie de l’Évangile ne vient pas d’une vague satisfaction trop vite dénoncée par les malheurs de notre temps ; elle surgit en nous quand nous voyons renaître le sourire sur le visage de notre frère, se renouer les mains séparées, s’éveiller une espérance restaurée, s’ébaucher un avenir fraternel.

 

« Que devons-nous faire ? » demandait-on au Baptiseur.

La recette du bonheur est dans une vie qui restaure le vrai visage de la création.

Lorsque vous êtes des hommes et des femmes de communion de partage, des inventeurs de justice et de convivialité, alors déjà vous entrez dans la danse de Dieu et Dieu met en vous sa joie.

 

Michel Teheux



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