Faire exister Pâques
- Michel Teheux
- 20 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 avr.
Veillée pascale
19 avril 2025

Pâques aurait pu avorter !
Elles – ces femmes fidèles qui avaient tant cru, tant espéré, les disciples des premiers jours, les aimantes du Golgotha au pied de la croix -, elles se rendaient au tombeau.
Pour des rites de sépulture… fidèles servantes des traditions.
Pour se remémorer douloureusement leur espérance passée en sachant que ça ne conjuguerait pas leur désespoir…
Pour se souvenir du passé.
Le passé est la meilleure et la pire des choses ! la meilleure : il nous construit et nous ne sommes jamais que des héritiers. Nous n’existons qu’enracinés : chaque geste, chaque événement, que nous en soyons les artisans ou que nous les subissions, chaque rencontre nous instituent. Mais le passé peut aussi être mortifère, lorsqu’il nous fige dans un état dépassé, lorsqu’il devient une prison en imposant la dictature d’un conditionnement non révisable, lorsqu’il se transforme en une sorte de boulet qui nous interdit ou nous empêche d’avancer.
Pâques aurait pu avorter !
Elles, elles courraient au tombeau pour achever les rites de sépulture !
Elles voulaient en préserver ce qui leur restait de ces moments de grâce à l’écoute de leur Jésus ; elles voulaient embaumer le corps sans vie sans doute pour, symboliquement, figer le souvenir des paroles de vie du Maître.
« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Rappelez-vous ce qu’il vous a dit » !
Mais Pâques aurait pu avorter avec la mémoire des moments d’exception vécus par les disciples sur les bords du lac de Galilée. La mémoire aurait pu assassiner Pâques si elle était devenue le tombeau des souvenirs, certes fondateurs, mais désormais non vivifiants, non porteurs d’avenir, de nouveauté, de futur, d’incertitude, de vie.
Pour que Pâques soit Pâques la démarche des femmes, le matin du premier jour de la semaine vers le tombeau devra être donc bien autre chose qu’un rite funèbre, funéraire, pour sceller le tombeau et canoniser le corps en cadavre. Elles cherchaient à retrouver et honorer les traces de celui qui était passé dans leur vie. Et le passé devient tentation mortifère. Car Jésus, lui, est « pascal », en passage.
Chercheurs de leur mémoire, les femmes ne peuvent rien trouver, sinon ce qu’elles cherchaient, les attributs de la mort, un linceul. Mais le mort-linceul n’est plus là, il est « passé » et les linges mortuaires sont rangés, vides, souvenir déjà estompé. Car le lieu de mort est devenu matrice pour une naissance !
« Ne cherchez pas : il n’est pas ici ! Allez » !
Les hommes en blanc renvoient les femmes vers l’incertitude d’une vie à créer, à inventer.
Comme Pierre et Jean, comme les disciples d’Emmaüs renvoyés vers la route.
Pâques n’existe qu’à faire courir et la rumeur est appelée à courir à travers les siècles à venir !
« Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant » ?
La question n’en finit pas de nous être posée. Pâque n’existe que sur la route à parcourir : la mémoire croyante n’est pas une confession de foi qui canonise un tombeau, elle est le déclencheur d’une passion. La passion de la vie. D’un bien vivre.+
Croire en la résurrection est autre chose que de faire mémoire de ce qui s’est passé il y a deux mille ans – et qui demeure inaccessible. Car un acte de foi absolument nu, hors de toute raison – comme l’on croit que l’on est aimé ou que l’on peut changer le monde. Célébrer le passage de Jésus, sa Pâque, c’est consentir à quitter le lieu de nos tombeaux, après avoir découvert, effarés, qu’en réalité la tombe est vide, vidée et qu’une mémoire du passé tourne toujours à vide.
Croire en la Pâque c’est le premier pas du passage qui nous jette du côté de la vie. Envers et contre tout. Éternellement. La mémoire de ce qui est arrivé ce matin-là ne nous fait pas regarder en arrière, vers un moment même s’il est exceptionnel. La mémoire du premier dimanche ne crée pas notre émotion, ni notre étonnement, encore moins notre vénération ou notre piété.
Si nous nous sommes rassemblés pour faire mémoire c’est pour être debout ; Pâques nous institue en passage, passagers. Non pas des adorateurs d’un mystère, mais des vivants, de bons vivants, de vrais vivants.
Michel Teheux