5e dimanche du temps ordinaire - 9 février 2025
Évangile selon saint Luc 5, 1-11

Les amis de Jésus avaient pêché toute une nuit et ils étaient revenus bredouilles.
Mais voici que Jésus les invite aussitôt à reprendre le large et à jeter les filets. La pêche est au-delà de toute espérance. Les filets craquent. De siècle en siècle, on parlera de la « pêche miraculeuse.
Les choses auraient pu en rester là et ce qui arriva ce matin-là serait resté un fait divers. Mais Jésus continue : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras ».
L’image est satisfaisante et le fait divers devient parabole. Ce matin-là, Jésus dévoilait la mission de l’Église.
Pêcher les hommes !... Il y a concurrence sévère sur tous les bancs de pêche…
Sectes, gourous, idéologies tentent d’appâter les hommes qui dérivent entre deux eaux, abandonnés au courant qui les portent et les déportent sans qu’ils puissent trouver le sens de leur vie. L’Église serait-elle une entreprise de pêche en concurrence avec d’autres ?
« Désormais ce sont des hommes que tu prendras » ! Mais on peut être pris comme on le dit d’un prisonnier, et on peut être pris comme on le dit d’un amoureux » !
« Désormais ce sont les hommes que tu prendras » ! L’Église ne pourra jeter ses filets qu’à la manière de son Seigneur. Ceux qui a pris, il les a appelés mais sans les tromper. Il les a illuminés de sa vérité mais sans les manipuler. Il les a réconfortés de son Esprit mais sans leur faire violence. Oui, Jésus prend les hommes, mais pour leur joie ; il les rend libres. Jésus prend l’homme pour qu’il s’éprenne de lui.
Désormais l’Église a pour mission de jeter à tous vents la Parole pour que les hommes soient séduits par ce visage qui les éveille à la vie et à la liberté.
« Désormais »… ce mot ne signifie pas seulement à partir de ce moment où je te le dis, mais à cause de l’expérience que tu viens de faire. Séduite, l’Église ne sera pas séductrice : les pressions, les slogans et les chantages n’ont rien à voir avec la mission. L’Église n’a pas pour vocation de prendre dans ses filets, elle n’a pas pour tâche « d’avoir » les hommes, de les posséder.
Le fondement de la mission de l’Église est là. Non pour ajuster les hommes pour qu’ils correspondent à l’Évangile et à ses exigences, non pas asservir les hommes à des règlements qui seraient internes à notre institution, les prendre dans nos filets.
Mais aller vers eux, se risque sur la mer même lorsqu’elle se déchaine, se laisser bousculer par les vagues contraires et même louvoyer pour tenter, vaille que vaille, de garder le cap. Les bancs de pêche ne sont pas sur les rivages sécurisants, ils sont en pleine mer. La mission ne consiste pas à amener les hommes dans l’Eglise mais à agir de sorte que l’Église soit là où sont les hommes. La mission de l’Église est de plonge les filets en eau profonde, de se « mouiller » pour que quelques échos de l’Évangile parviennent jusque dans les zones les plus ténébreuses de l’humanité.
Il n’a de pêche miraculeuse que parce que les disciples ont osé risquer les gestes d’espérance malgré toutes les évidences contraires : ils avaient pêché toute la nuit sans prendre, ils acceptent, sur l’ordre de Jésus, d’essayer encore.
« Vous serez pêchés d’hommes ». L’Église n’existe pas pour elle-même ; sa seule raison d’être est de témoigner que l’homme peut être libéré de tout ce qui l’entrave dans son épanouissement personnel et collectif. Mais comment l’Église sera-t-elle ce témoin si elle enferme dans ses propres filets ?
Sa raison d’être est de témoigner que l’homme peut être rejoint par une parole d’espérance jusque dans les zones les plus obscures de son existence. Mais comment sera-t-elle ce témoin si elle refuse de se plonger dans ce que les hommes vivent, d’entendre ce qu’ils attendent ou ce qui les désespèrent, de partager leurs combats et peut-être même leurs démissions ?
Lorsqu’elle se plonge en humanité, l’Église, en définitive, ne fait que rendre ce qu’elle a reçu : car nous avons été appelés tel que nous étions, nous sommes devenus chrétiens en devenant des hommes.
Et si nous avons pu aller vers Dieu, c’est bien parce qu’il est venu vers nous, en humanité.
Michel Teheux