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« Aimez vos ennemis »

Photo du rédacteur: Michel TeheuxMichel Teheux

7e dimanche du temps ordinaire - 23 février 2025

Évangile selon saint Luc 6, 27-38



Le monde de Dieu est un monde à l’envers : lorsque l’Envoyé meurt sur le gibet d’infamie, il foule la mort aux pieds ; lorsque le péché paraît l’emporter, c’est alors qu’est accompli le salut et que se manifeste la grâce (« Heureuse faute » !, chantons-nous durant la veillée pascale).

Et lorsque Luc regarde les communautés qui ont jailli en terre païenne, il n’a pas à se réjouir : miséreux, gens de petite vertu, marginaux, voilà le milieu où la foi a fleuri. L’Évangile est déraison : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent… Ne réclamez rien à celui qui vous vole » ! L’Évangile ne se modèle pas sur l’homme, mais sur Dieu. Jésus peut exiger d’aimer à la folie parce qu’il a été le seul à parcourir la route jusqu’au bout.

 

Nous prendrons dès lors la mesure de l’amour en contemplant l’amour du Père révélé en Jésus. Il pardonne à ceux qui le tuent, il fait du traître un confident, il confie son troupeau au berger le plus lâche. On le frappe, il se tait. On l’accuse, il laisse faire. Dieu a tant aimé le monde ! Passionnément. À la folie.

 

Certes, il ne nous appartient pas toujours d’être amour des autres. Il y a des divisions inévitables, des ruptures nécessaires, des oppositions légitimes. Le Christ ne nous demande pas de fermer les yeux, de faire comme si tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il ne nous demande pas de ne pas avoir d’ennemis ! Lui-même en a eu, et en grand nombre, et des vrais, qui lui en voulaient à mort et qui criaient : « crucifie-le ». Il ne nous dit pas : « n’ayez pas d’ennemis », mais « aimer vos ennemis ».

 

Bien sûr le premier pas consiste à tout faire pour en limiter le nombre ! Il y a là tout un chantier pour notre amour du prochain. Combien d’hostilités cesseraient si chacun avait le souci de respecter l’autre, sa dignité, son autonomie, sa liberté, son droit à être « autre », cette part de vérité qui est en lui, même si elle me gêne… si l’on se refusait à juger, de condamner, de parler sans savoir… Mais ceci fait – et ce n’est pas rien - ! restent les situations où l’amour devient une folie que Dieu appelle sagesse, la sienne.

 

-  Être capable de respecter l’autre dans sa liberté, même s’il s’en sert contre moi, ça c’est typiquement chrétien : « Père, pardonne-leur... »

 

-   Chercher à faire le bien de celui qui cherche à faire mal, ça c’est typiquement chrétien : « avant que le coq chante, tu m’auras renié… »

 

-   Combattre le mal, en étant dur s’il le faut au nom de la justice et de la vérité, en laissant une porte ouverte pour une réconciliation, ça c’est typiquement chrétien : « arrière, Satan ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes ».

 

-   Être capable de réconciliation, de faire le premier pas quand je suis la victime, de rendre la confiance qui a été trompée, l’amitié qui a été trahie, ça c’est typiquement chrétien : « Pierre, m’aimes-tu » ?

 

Le chrétien n’est pas un héros, un prodige de vertu. Il est un converti. Il a été brûlé au feu de l’Esprit. Bienheureux les doux ! Non pas les mollassons, les sans-caractères ! Ni les inconditionnellement résignés ni ceux qui supportent tout. Mais les patients et les tenaces.

Ceux qui déjouent le cercle infernal de la violence et luttent contre eux-mêmes en osant croire à la force d’aimer. Heureux, non pas ceux qui craignent les conflits, mais ceux qui sont au cœur des affrontements, sans haine et sans rancœur. Heureux les miséricordieux ! Non pas ceux qui « oublient » sans pardonner, mais ceux qui pardonnent en se souvenant.

Heureux les « fous » de Dieu. Bienheureux ceux qui oseront larguer les amarres de la raison et de bonnes raisons qui les retiennent sur la terre ferme. Heureux ceux qui se fieront à la Parole de vie et mettront leur espoir dans l’océan qui peut les emporter.

Celui qui ne se risque pas en haute mer ne connaîtra jamais l’enivrement de la vague et des embruns ni la séduction du ciel qui rejoint la mer.

 

« La mesure de l’amour est d’aimer sans mesure » (Saint Bernard). Celui qui reste sur le bord ne perdra jamais le goût de la terre ferme, la terre des gens raisonnables, sûrs d’eux-mêmes, sages, bien-pensants. Ils croient qu’ils ont bâti et ils ont amoncelé des ruines.

L’amour est comme le rêve : il est sans mesure ! Il vaut mieux le savoir avant de se risquer dans la déraison de l’Évangile.

 

 

Michel Teheux



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