Évangile selon saint Luc 6, 39-45
2 mars 2025

Il y a des mots qui tuent.
Il y a des regards qui sont criminels.
Et l’imagination dresse les bûchers de la suspicion, des jugements péremptoires, du « on dit »… « tu sais ». Peloton d’exécution des cancans, de la médisance et de la calomnie.
Que de cimetières dont nous sommes responsables parce que nous avons catalogué l’autre, enterré dans son passé, ses erreurs et peut-être ses errements, parce que nous avons oublié de comprendre, c’est-à-dire de « prendre avec », d’être avec au lieu d’être « en face » qui reste à la surface des apparences au lieu de devenir celui qui partage, écoute, accepte jusqu’à la différence.
Nous préférons nos tribunaux sans appel à une table fraternelle et ouverte.
Il y a des mots et des regards qui tuent.
Votre regard et vos paroles sont-ils mortels, porteurs de désespérances, d’emprisonnements, de suspicion ou de malveillance ?
Ce dimanche, nous sommes provoqués à regarder les choses et les être autrement.
Dans nos communautés et dans nos vies personnelles devrait s’entendre une autre rumeur que celle du monde.
Notre foi n’est pas d’abord une théorie ou un discours pieux ; elle est source de vie.
L’arbre est jugé à ses fruits.
Comment, dans notre vie et celle de l’Église, manifestons-nous le regard neuf posé par Jésus sur les hommes et la vie ?
Qu’en est-il dans notre vie personnelle et collective, qu’en est-il dans l’image que l’Église donne d’elle-même, de l’identification avec le faible, le pécheur, l’exclu, le délaissé, le mis à part de la société, le pauvre de biens ou de vertus, les opprimés et même les déviants ?
Qu’advient-il de la suppression des barrières entre étrangers et proches, entre bon et méchants ?
Portons-nous sur les êtres et les choses le regard de l’Évangile qui se solidarise avec la détresse et l’espérance humaines, qui n’exige pas mais donne, qui n’écrase pas mais réconforte, qui ne condamne pas mais libère, qui fait régner sans réserve la grâce au lieu du droit.
Ce dimanche nous recevons vocation à la bienveillance, à la veille, à l’attention qui fait du bien.
Soyez bienveillants.
Pour les autres. Ils sont moins mauvais que vous le pensez.
Aimez en eux la part d’eux-mêmes : dans le pire des mécréants, il a un reflet, aussi caché fut-il du bien que Dieu a inscrit dans le cœur de chacun.
Vous avez vocation à l’espérance, espérer en l’homme ; le chrétien, quoiqu’il advienne, ne peut se résoudre à enfermer celui qui restera un frère dans le carcan des jugements et la prison de condamnations. Croyez en l’homme et soyez des hommes voués à la miséricorde.
Soyez bienveillants pour vous-mêmes et regardez-vous avec moins de sévérité : s’il vous arrive d’avoir quelque sentiment d’humeur à l’égard de tel ou tel acte que votre humeur se change en humour : vous n’avez pas encore dit votre dernier mot.
Soyez bienveillants : portez sur tout une attention qui fait du bien. Cela signifierait-il : trouver des excuses, être indifférents ou naïfs ?
Ce serait oublier que le mot comporte deux mots : bien et veiller.
Soyez bienveillants, c’est aussi : découvrez-vous responsables, soyez de bons veilleurs, des dénonceurs d’illusions, de fausses valeurs, de bonheurs trompeurs.
La bienveillance est aussi prise en charge.
Il y a quelques années, un journal français avait axé sa campagne de promotion sur un slogan extraordinaire : « les autres voient la vie en noir ; nous, nous voyons des raisons d’espérer » ! Telle est la bienveillance chrétienne : l’amour prend patience, il excuse tout, pardonne tout, chante l’hymne à la charité selon saint Paul.
Notre bienveillance n’est pas « regarder la vie en rose » ou affirmer que « tout le monde est bon, tout le monde est gentil » ou croire que tout se vaut, le noir et le blanc.
Notre bienveillance est théologale : nos raisons d’espérer s’enracinent sur l’être même de Dieu qui prend patience.
Aux tribunaux sans appel de nos inquisitions spontanées, nous préférons la douceur et la violence de la miséricorde.
Elle seule est porteuse d’avenir et de vie.
Nous, nous croyons en l’homme puisque nous croyons en Dieu.
Michel Teheux