Évangile de Matthieu (Mt 25, 14-30)
Risquer
Il avait enterré son talent ; il se préservait de l’avenir, il ne risquait rien. L’argent n’était pas à lui ; il valait donc mieux faire attention et être prudent, s’il venait à le perdre en le risquant, comment rembourserait-il ce talent ?
Pensez donc : la coquette valeur de 6 000 francs or !
La parabole serait-elle donc un condensé de politique économique à l’heure de l’inflation et de la crise ?
Ne pensez pas qu’elle soit une mise en évidence de nos talents naturels – intelligence, force, courage, esprit d’entreprise -.
La parabole parle toujours du Royaume et de Dieu. Elle lève le voile sur notre relation à Dieu, et notre relation à Dieu à travers notre histoire humaine.
Le Maître est donc parti en voyage : la communauté des premiers chrétiens se découvre orpheline ; le Christ est parti et a confié le sort du Royaume à ses disciples. Nous voici rendus responsables !
Qu’avons-nous fait de la Parole ?
Les scribes et les docteurs de la Loi savaient bien qu’un dépôt précieux leur avait été confié. Jésus leur reproche d’avoir enterré la Parole qui devait germer en fruits de vie. « Qu’avez-vous fait de la Parole » ? Cette question, adressée aux scribes, nous répercute, en écho de l’Évangile : « Et vous, que faites-vous » ? Il y a mille manières de faire mourir la Parole et de l’enterrer. L’argent improductif devient vite sans valeur. Enterrez donc l’amour et la grâce, que deviendront-ils ? Ils sont faits pour être échangés… Enterrés donc Jésus : comment sera-t-il encore le Christ vivant ?
Transmettre, rendre, oui… pour faire mémoire. Ce qui est bien autre chose qu’enterrer ! Notre fidélité n’a rien à voir avec la bonne conservation d’un patrimoine. L’Église qui n’ose pas risquer son héritage dans la cité des hommes a déjà tout perdu. Notre fidélité n’est pas réduite à veiller les morts et fleurir des souvenirs. Elle est fidélité dans un mot et un risque. C’est une fidélité debout !
Que faites-vous de la Parole ?
L’Église est infidèle lorsqu’elle la dissipe sous le poids des coutumes, des habitudes, sous une minutie exagérée ou un contrôle desséchant. La Parole n’existe vraiment que proférée, toujours neuve.
L’Église est infidèle quand la Parole n’est plus un cri, un désir qui fait surgir la vie. Lorsque l’interrogation est jugulée en prétextant qu’elle est inconvenante ou incroyance, lorsque la recherche est entravée parce qu’elle est aléatoire, lorsque la crainte nous fige au lieu de chercher les voies nouvelles de l’Évangile, lorsque justice et amour, vérité, réconciliation et paix restent des mots sans âme, même si on prétend fidèlement qu’ils sont des principes de vie.
Il faut risquer, car le Royaume est tout entier dans les semailles, et celle-ci ont toujours le goût du risque et de l’aventure, la saveur de la vie. L’Église n’a reçu qu’un talent et son héritage a pour nom « Jésus », vivant.
« Vivant » et pour l’éternité un participe présent, car la foi se conjugue toujours à l’actif !
Michel Teheux