Évangile de Matthieu (20, 1-16)
Eloge de la Bonté
L’histoire est irréaliste et il y a de quoi faire hurler tout qui a un peu de bon sens.
On est loin des exigences de nos lois sociales et de nos conventions collectives !
A travail inégal, salaire égal ! la parabole provoque et déconcerte. Et c’est pour cela qu’elle risque de nous initier au mystère du Royaume.
« Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins » ! affirme Dieu par le prophète Isaïe. Nous voici avertis de la conversion qui devra être la nôtre.
Nos pensées, en effet, sont plutôt sensibles à la valeur marchande, à la rétribution de nos activités, aux bénéfices à tirer, aux intérêts à calculer. Tout se monnaie et tout se mesure.
« Je ne suis pas payé pour cela… » est un refrain connu.
Nous professions une volonté louable de justice et soupesons les termes des contrats qui nous lient.
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » !
Le Royaume de Dieu n’est pas une société industrielle et commerciale. Ici les mérites, récompenses et autres salaires ne se calculent pas à l’ordinateur ni selon les prestations savamment codifiées, qu’elles soient religieuses, ascétiques, sociales ou mystiques. Dieu n’est pas un comptable, mais il est bon.
La bonté a chez nous des relents de faiblesse ; on sait ce que veut dire un « bon-papa ». Elle sent la condescendance du propriétaire qui use de ses biens selon son bon vouloir et qui « fait la charité. « je suis bon », dit Dieu. Et la bonté, c’est l’autre nom de son amour et donc de son être, parce qu’elle est synonyme de désintéressement et donc de gratuité.
« Vas-tu me regarder d’un œil mauvais parce que je suis bon » ?
Jalousie des « justes » de voir Jésus fréquenter les publicains et les pêcheurs. Dépit des Juifs devenus chrétiens de voir l’Eglise s’ouvrir aux païens et de les traiter comme des citoyens à part entière. Regard envieux, soupçonneux et jaloux, jeté par tant de bien-pensants sur tout ce qui n’est pas conforme à leurs conventions sociales, leur morale janséniste et leur charité sélective.
Il nous fait réapprendre la bonté. Non pas le laisser-faire, laisser-aller qui n’est que démission. Non pas le béni-béni », qui n’est que mensonge. Non pas la générosité mal comprise des grands-parents « gâteux ». Mais la bienveillance qui s’attache à découvrir l’autre face des choses et des êtres, la grandeur d’âme qui pardonne et ouvre un nouvel avenir, la délicatesse qui relève discrètement, encourage sincèrement, soutient sans forfanterie, l’attention qui se fait prévenance sans s’imposer, la douceur qui apaise les conflits dans la vérité, la générosité qui s’attache aux besoins de l’autre.
La justice n’est que l’équité. La bonté, elle, est l’étincelle du Royaume inscrite en notre vie. Source de l’avenir, germe de résurrection.
Les ouvriers de la dernière heure ne s’attendaient pas à être embauchés et quelle ne fut pas leur surprise quand le Maître leur remit le salaire d’une journée entière ! Des hommes étonnés, voilà les citoyens du Royaume !
Et si notre regard n’est pas encore bon, c’est peut-être que nous n’avons pas encore été assez étonnés de ce que nous avons reçu, estimant que cela nous était dû.
Il nous faudra encore attendre et réentendre parler, avec les embauchés du soir, de ce vigneron incroyable qui nous traite avec une générosité royale.
La bonté ne s’enracine pas dans le calcul mais dans l’émerveillement.
Michel Teheux