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Photo du rédacteurMichel Teheux

24e dimanche du temps ordinaire

Évangile de Matthieu (18, 21-35)



Agir comme Dieu


« Je n’oublierai jamais » ! « Il me le paiera » !

« Attends un peu et tu verras » !

« Tu ne perds rien pour attendre… » !


Rancunes cultivées : griefs ruminés jusqu’à devenir irrémissibles ; vengeances tenaces même si, heureusement, elles ne passent pas toujours aux actes ; colère qui devient même une circonstance atténuante. Il faut être fort et toute faiblesse est coupable dans une société où seuls ceux qui écrasent les autres restent debout Revêtus d’un épiderme sensible et aiguillonnées par un orgueil chatouilleux, nous ressentons comme des blessures mortelles le moindre affront, la plus anodine des contradictions. Dressés sur nos ergots, nous vivons la moindre atteinte à ce que nous estimons être nos droits comme une véritable déclaration de guerre.


Il arrive même que Dieu soit appelé à la rescousse. Un Dieu justicier et vengeur qui balaie les méchants, punit et détruit les ennemis. On s’étonne de ne pas voir punis les mauvais, de constater que les arrivistes font fortune, que les mécréants réussissent et on se lamente sur l’injuste sort qui accable les justes ou les gens honnêtes. Le monde est mal fait et s’il y avait une justice…


La liturgie bouleverse ces évidences.


Au deuxième siècle avant Jésus, Ben Sirac le Sage avait déjà dépassé et affiné la loi du talion. Certes, celle-ci, commune aux anciens codes orientaux, marquait un progrès sur la vengeance aveugle et sans limites.

« Œil pour œil, dent pour dent » valait mieux qu’une vendetta rendant au centuple le mal subi et rétablissait une proportion entre l’offense et le châtiment. Ben Sirac le Sage découvre la règle de la miséricorde : colère et rancune, haine et vengeance sont des choses abominables.

« Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait… oublie son erreur, alors à ta prière, les péchés seront remis ».

Ce sage comprend bien la logique de l’Alliance : à la gratuité de l’Amour de Dieu doit répondre la bienveillance du cœur du croyant.


Tel est bien le ressort de l’exigence biblique : modeler notre cœur sur celui de Dieu. Telle est la morale évangélique : imiter Jésus qui s’est fait pêcheur avec les pêcheurs, pauvre avec les pauvres pour nous élever à la dignité des fils aimés du Père. Tout la loi nouvelle tient dans une proposition : « comme ».


Nous sommes appelés à être « comme Dieu ». le pardon qui est la règle de l’amour n’est pas une exigence née d’une réflexion morale voulant organiser les relations entre les hommes : il découle d’une contemplation de l’être même de Dieu. Faisant l’expérience de la bonté de Dieu, qui nous remet toutes nos dettes, nous devons avoir un cœur de miséricorde.


Difficile règle du pardon car, chaque jour, chacun de nous peut constater les limites de sa patience, invoquer les récriminations, exiger de justes rétributions ou compensations. Difficile pardon car chacun peut honnêtement taxer d’utopie et d’inhumain le précepte du Seigneur.


Et cependant « si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous d’original : les païens n’en font-ils pas autant » ?

L’Évangile est de l’ordre de l’inadmissible puisqu’il prend comme modèle l’être même de Dieu pour régler le comportement des hommes.

« Qui dont est Dieu que nul ne peut aimer s’il n’aime l’homme » ? demande le poète dans une très belle hymne de la Liturgie des Heures.

« Comment peux-tu prétendre aimer Dieu que tu ne vois pas si tu n’aimes pas ton prochain que tu vois » ?

Et Saint Bernard pouvait très justement affirmer: « Il n’y a qu’une seule mesure à l’amour: aimer sans mesure » !


Aimer sans mesure… comme Dieu… Mais ne nous trompons pas : l’amour n’est pas un sentiment, il est une manière d’être et d’agir. Le pardon n’est pas une vague à l’âme. Le pardon, c’est d’abord… pardonner, c’est-à-dire un verbe actif. Le pardon, c’est découvrir l’autre face des choses et des êtres, aller à la rencontre, recommencer, nouer, renaître.


En un mot : agir comme Dieu.


Tout à l’heure, nous prierons ensemble : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».

La prière est redoutable et elle nous juge : les confessions les plus fréquentes, les absolutions les plus nombreuses ne peuvent rien pour un cœur fermé à la miséricorde. Seul celui qui s’essaie à aimer peut comprendre ce qu’est l’amour.

Alors exercez-vous à cette qualité qui a si mauvaise presse : « Pâtir avec », souffrir avec, rire avec, c’est sans doute cela, le pardon.

Exercez-vous à cette autre qualité dont le nom même est aujourd’hui si mal compris « la pitié ».

C’est le nom que prend l’amour lorsque l’autre est dans la peine. Alors vous comprendrez quelque chose de Dieu.


Michel Teheux




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