Évangile de Matthieu (16, 21-27)
De la séduction à la passion
Tu m’as séduit…
On se méfie des séducteurs : ils vous perdent en vous éblouissant, ils vous enchaînent au lieu de vous libérer.
Tu m’as séduit---
Jérémie confesse l’origine de sa vocation de prophète : il a porté la parole devant l’assemblée des fidèles – sensibilité du mot prophète – parce que la parole a touché son cœur.
Non pas pour l’entraver mais pour l’ouvrir.
La séduction deviendra passion. Passion qui est l’autre mot d’enthousiasme – Jérémie sera fasciné par ce qui lui est révélé -, passion qui est l’autre mot de l’amour – il sera convaincu de la tendresse fidèle de Dieu pour son peuple -, passion qui est l’autre mot de la souffrance – Jérémie paiera le prix de son attachement et connaîtra contradiction et opprobre.
La séduction deviendra passion…
Pierre a été séduit. « Pour vous qui suis-je » ? « Tu es le Fils de Dieu ».
Mais pour cette séduction de la foi qui, l’espace fulgurant d’un instant entrevoit le mystère, trouve son achèvement, il faut emprunter le chemin de la passion. Il n’y a pas d’amour qui ne coûte cher.
Pierre séduit n’est pas encore le rocher sur lequel Jésus bâtira l’Église.
Pour qu’il soit le Pasteur des brebis, il lui faudra connaître les reniements du Vendredi Saint, ultime conversion de ce long chemin entamé aujourd’hui en partant de Césarée de Philippe, il lui faudra découvrir que le Messie qui l’a séduit n’est pas ce qu’il imaginait dans la ferveur de sa foi enthousiaste.
Sa foi devra affronter – au risque de se perdre – l’épreuve de la révélation d’un Messie radicalement différent, souffrant. Et ce sera au bord du lac, entre Césarée et Jérusalem, qu’il s’entendra dire « Pais mes brebis », lorsqu’après l’épreuve de la foi convertie il ne pourra dire que les mots qui libèrent : « Tu sais que je t’aime ».
Pierre doit passer de la séduction à la passion été son chemin de foi devra passer par la conversion de l’épreuve de la foi.
De la séduction à la passion… C’est aussi pour Pierre passer de l’émerveillement qui pourrait n’être que passager à l’engagement né d’une décision affrontant l’épreuve de la durée. Sa foi ne s’épanouira qu’en marchant longuement à la suite de Jésus.
Pierre doit s’engager dans la passion et il lui faut encore découvrir le prix de l’amour. L’amour de Jésus pour les hommes lui coûtera cher et Dieu donne tout puisqu’il est l’Amour parfait. La mesure de l’amour et ce qu’on a risqué pour lui : il n’y a pas d’amour facile.
De la séduction à la passion…
Jésus ne sera pas séducteur, il ira jusqu’au terme de la route. Il fera la volonté du Père même si ce choix et cette fidélité doivent lui coûter cher.
Jésus, le passionné de Dieu, ira vers la croix lorsque celle-ci deviendra la conséquence de ses choix et de sa passion de Dieu et des hommes. Et il en fera le sacrement de l’Amour qui est en Dieu depuis toujours.
Il transformera la fatalité et le destin en expression de ce qui l’a fait vivre.
Condamné à marcher vers la croix par le cours des événements, il fera de cette nécessité l’acte libre de son offrande.
La séduction de l’Évangile : la voilà : s’émerveiller de la passion de Dieu pour l’homme, pour tout homme, et en porter témoignage dans une vie livrée, consacrée à la même passion.
Chaque fois que l’Église prêche un Dieu puissant, séducteur ou séduisant, il lui est dit «Arrière Satan » !
Chaque fois que l’Église cherche ses sécurités dans les compromis ou les assurances humaines, il lui est dit : « Tes voies ne sont pas celles de Dieu » !
Chaque foi que nous vivons sans passion, sans engagement, « à la petite semaine », il nous est dit que le chemin de la foi passe par celui d’un amour dont la seule force est ce que nous aurons accepté de perdre ou de compromettre pour lui.
Chaque jour que l’Église et nous sommes à la croisée du chemin.
Mais de la pierre qui pourrait devenir pierre d’achoppement, nous pouvons faire une pierre sur laquelle prendre appui pour aller plus loin. Et même la pierre sur laquelle nous tombons pourra devenir, un jour, pierre angulaire, pour fonder l’édifice d’une vie devenue passion de Dieu et des hommes.
Michel Teheux