24e dimanche du temps ordinaire - 15 septembre 2024
Évangile selon saint Marc 8, 27-35
Chers Frères et Sœurs,
Comme vous le savez et je ne m’en cache, j’aime rire, les jeux de mots, la légèreté… Bref, je reste un grand gamin. Aussi, en guise de préambule à notre méditation, je vous propose un petit-jeu ; un jeu où tout le monde perd… mais où au final tout le monde gagne. Pour ce faire, je vais faire appel à votre mémoire collective. Est-ce que vous vous rappelez du jeu « Qui est-ce ? » ? Ce jeu de plateau où il faut découvrir un personnage à partir de critères (genre, couleur de la peau, des yeux…), où on abaisse les images non-correspondantes aux critères énoncés, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul personnage debout ?
Bon, vous êtes prêts ? Fermez les yeux… Et si nous appliquions ce « Qui est-ce » à Dieu ? Quelle image en avez-vous ? Est-il un homme ou une femme ? A-t-il des cheveux bruns, noirs, blonds, gris ? Porte-t-il des lunettes ? A-t-il des vêtements gris, blancs, noirs ou d’une autre couleur ? Après avoir entendu ces critères et en abaissant mentalement tous ceux qui ne correspondent pas… Y a-t-il un visage, une photo, une image qui reste et persiste ? Non ? Bref, tout le monde a perdu… mais c’est là que vous avez gagné encore plus… En réalité, l’Évangile d’aujourd’hui propose ce même paradoxe sur l’identité du Jésus… Peut-être encore plus avec force dans le sens où il nous révèle l’enjeu véritable du petit-jeu que je viens de vous proposer… car il repose non pas sur le visible et l’évidence – Jésus était face à face avec les apôtres, quel intérêt de jouer à ce « Qui est-ce » avec Lui – mais bien sûr l’invisible de la confiance de la foi et notre impossibilité de représenter ce que notre cœur peut se représenter et voir distinctement. Car la foi chrétienne ce n’est pas d’abord de la ‘morale’ ni un ‘savoir’ sur Jésus. C’est avant tout vivre une relation avec Lui. Une relation qui aura forcément un impact sur notre vie. Car, « Si la foi n’est pas mise en œuvre », en d’autres termes si elle n’est pas questionnée et actualisée au quotidien, alors « elle est bel et bien morte »… St Jacques le dit clairement.
En revenant à notre Évangile, nous sommes à un moment-clé, un tournant de la vie de Jésus : bientôt son chemin va devenir un chemin de croix ! Mais les disciples sont à cent lieues de l’imaginer. Depuis deux ans, ils côtoient Jésus, ils le voient vivre simplement, aller à la rencontre des gens, leur parler du Royaume des cieux en paraboles, guérir des malades, partager le bien et l’espérance… Et là, c’est le moment que choisit Jésus, au hasard d’une halte en montagne pour proposer à ses apôtres le même petit jeu que je vous ai proposé… d’abord de façon indirecte « Au dire des gens, qui suis-je ? ». Puis il les interpelle directement… car vous l’avez compris, l’intention de Jésus n’est pas de mesurer sa cote de popularité, mais bien de passer à la seconde question : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? ». En bon meneur ou bon joueur, bref, comme un grand enfant prêt à relever le défi, c’est Pierre qui se lance : « Tu es le Christ »… C’est-à-dire le Messie annoncé par les prophètes. En fait, il a tout juste… et tout faux ! Tout juste, parce que, effectivement, Jésus est bien le Christ, le Messie, l’envoyé du Père…
Tout faux parce que, dans cette manche de « Qui est-ce », le Christ, le Messie qu’il imagine et espère a si peu à voir avec Jésus ! En effet, comme beaucoup de ses contemporains, Pierre continue à rêver d’un Messie puissant, qui viendrait libérer Israël de l’occupation romaine. Or sans transition et de façon abrupte, Jésus annonce ouvertement et pour la première fois à ses disciples « qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté… tué...et que, trois jours après, il ressuscite » ! À ce moment précis, nous ne pouvons qu’imaginer la tête déconfite des disciples : « De quoi parle-t-il ? ». C’est à ce moment que Pierre comprend qu’il a perdu… ou plutôt qu’il est perdu… car, comme un enfant capricieux, il est scandalisé et le dit à Jésus « en le prenant à part » : « Tu dis n’importe quoi ! Puisque tu es le Christ, le Messie, Dieu ne permettra pas qu’on te fasse du mal… Que diraient tous ceux qui croient en toi ? Quelle image cela donnerait-il de Dieu ? Un Messie qui n’est pas capable de se défendre ? Tu n’as qu’à dire un mot et Dieu terrassera tes ennemis ... »
En réponse à Pierre, comme un soufflet, Jésus laisse s’échapper de sa bouche : « Passe derrière moi, Satan ! » En d’autres termes : « Arrête, Pierre ! Ne fais pas l’enfant… Tu parles comme le diable quand j’étais dans le désert ! Ne m’empêche pas de suivre mon chemin et mets-toi encore à mon école. Tu as encore beaucoup à découvrir ». Pauvre Pierre, qui avait pourtant fait une si belle profession de foi ! Ses certitudes et sa foi sont à nouveau remise en question ! Comme la-nôtre aujourd’hui, après avoir constaté que notre image de Dieu n’est pas de l’ordre du visible, du sensible… Elle est bien loin cette image d’un papy à longue barbe. Alors certes, nous perdons nos certitudes… mais au final nous gagnons surtout cette volonté d’aller plus loin, en dépassant nos propres limites, nos propres critères humains afin de demeurer des enfants de Dieu prêts à jouer la vie et à nous émerveiller du monde.
Pour conclure, chers Frères et Sœurs, nous aussi nous sommes invités à revoir nos idées parfois trop arrêtées sur Dieu : sa grandeur, sa « toute-puissance » n’est peut-être pas ce que l’on croit. Car si sa « puissance » est celle de l’amour, alors oui, Dieu est vulnérable : il peut souffrir avec nous, comme tous ceux qui aiment. C’est donc sur la croix, lieu du plus grand de l’Amour et non de la souffrance, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile de Jean ce samedi, jour de la Croix glorieuse, que sa « gloire » sera révélée de la manière la plus inattendue, mais aussi la plus forte en nous révélant son identité au-delà de tout visage, de toute imagination. Car il est bien là le véritable gain de la foi :
« Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. »
Amen. Alléluia.
Abbé Frédéric Kienen
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