Évangile de saint Matthieu (9, 36 – 10, 8)
Contemplata aliis tradere - Transmettre aux autres ce que l’on a contemplé -
Il est probable que beaucoup d’homélies ce dimanche évoqueront l’envoi en mission – au fond c’est le thème central de l’Évangile d’aujourd’hui : la désignation des premiers disciples. Sans doute, beaucoup de commentaires vont exhorter les communautés à s’engager sur le terrain du témoignage et de la charité. C’est important et je nous propose d’y réfléchir plus profondément. Plutôt que simplement vous dire « Allez-y, engagez-vous ! », voire de vous rappeler le devoir que nous avons tous de témoigner, de rendre compte de notre foi, je nous propose de méditer sur les conditions préalables à la mission. Comment vouloir être missionnaire et comment être un bon missionnaire ?
La mission chrétienne peut revêtir bien des aspects : l’accueil, l’écoute, la disponibilité, l’engagement auprès des pauvres, des malades, des prisonniers, des étrangers et des plus démunis.
Cependant la mission chrétienne, ce n’est pas seulement le don de soi, de son temps ou de ses biens pour soulager autrui. Cela, de nombreux athées le font tout aussi bien que nous. Et, hélas, de nombreux chrétiens très charitables n’agissent pas différemment de ces généreux athées. Si notre charité ne se différencie en rien de la charité d’autres religions ou courants philosophiques, que reste-t-il de proprement chrétien à notre mission ? Que reste-t-il de celui qui nous a envoyé ? Pour être missionnaire, notre charité doit être chrétienne, c’est-à-dire témoigner explicitement du Christ. L’Église n’est pas une simple ONG ou un service social. L’assistance matérielle prodiguée aux pauvres c’est le minimum humaniste, mais nous avons aussi pour mission de leur offrir une assistance spirituelle, et ultimement de leur proposer le salut en Jésus-Christ. Il est certes important de donner du pain au pauvre qui a faim, mais encore faut-il lui expliquer pourquoi nous croyons que c’est le Christ qui lui offre ce pain et pas nous-même.
Ceci pose dès lors un préalable à la mission chrétienne. Il faut connaître ce Christ, le fréquenter, s’imprégner de lui, vivre de lui. Il est nécessaire – je pense – d’avoir une vie intime et profonde avec le Christ – une vie contemplative – pour pouvoir spontanément dire à celui qui mendie : ce n’est pas moi qui t’offre ce pain, mais c’est le Christ à travers moi. Le préalable à la mission chrétienne c’est la contemplation du Christ.
Saint Thomas d’Aquin l’explique très bien dans la Somme théologique (Summa theologiae, III, q. 40, a. 1, ad 2) :
« La vie contemplative est tout simplement meilleure que la vie active qui est préoccupée de ce qui concerne les actions corporelles, mais une vie active dans laquelle quelqu’un transmet aux autres les fruits de ses contemplations en prêchant et en enseignant, est plus parfaite qu’une vie livrée uniquement à la contemplation, car une telle vie présuppose une grande richesse contemplative. Et c’est pour cela que le Christ a choisi une telle vie ».
De fait, dans les Évangiles, le Christ ne pose jamais aucune action sans avoir prié, médité ou s’être retiré sur la montagne. Et il ne cesse de témoigner de ce c’est son Père qui l’a envoyé.
Ainsi, si la vie contemplative est supérieure à la vie active, elle est encore meilleure si elle se poursuit dans la transmission aux autres des fruits spirituels reçus lors de la contemplation. Thomas d’Aquin l’exprime quand il étudie ces deux états de vie dans la Somme théologique (Summa Theologiae II-II, q. 188, a. 6.). Il dit :
« ...il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ; de même est-il plus beau de transmettre aux autres ce qu’on a contemplé que de contempler seulement ».
Ces mots « transmettre aux autres ce qu’on a contemplé » – en latin, Contemplata aliis tradere – sont devenus une des trois devises de l’Ordre des Prêcheurs, tellement ils expriment notre spiritualité. Dès la fondation de l’Ordre, les frères prêcheurs se sont adonnés à la prière, à la méditation et à l’étude en vue du ministère apostolique. De notre vie contemplative découle notre vie apostolique.
La mission chrétienne trouve sa source dans la relation personnelle avec le Christ. Elle se déploiera à mesure que cette relation deviendra intime et profonde. La mission chrétienne est d’abord spirituelle, contemplative et c’est cette contemplation qui se déploie dans l’action. Notre vie spirituelle est le ressort de notre élan charitable. À tel point que lorsque nous n’allons pas spirituellement bien, notre allant vers les autres s’étiole et finit, pour certains, par s’éteindre.
Tous, je nous encourage à plonger plus avant encore dans la vie contemplative : à prendre le temps chaque jour d’un moment personnel et intime avec Dieu. Car au-delà des soins et de la charité que nous pouvons prodiguer au monde, il a surtout besoin d’être spirituellement réenchanté.
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain