25e dimanche du temps ordinaire - 22 septembre 2024
Évangile selon saint Marc 8, 27-35
Chers Frères et Sœurs,
Rappelez-vous ce temps où nous allions à l’école. L’exercice est encore plus facile pour les enfants ici présents. Poussés par nos parents et nos instituteurs, quel Graal visions-nous sinon celui d’être le meilleur, le premier de la classe. Et quand certains y parvenaient, quel sentiment de victoire, quelle gloire pour soi… sur les autres ! Évidemment, ce même acharnement dirigé vers l’effort et la réussite n’est pas lié qu’aux études, mais aussi au sport, au travail… ou encore, pour les plus grands enfants, aux élections. Bref, vouloir atteindre la première marche du podium est inscrit dans notre ADN. Et quant au dernier ? Bah ! Certains le consoleront en reconnaissant qu’il a peut-être fourni des efforts, certes, mais au final, on dira qu’il a manqué de talent, de compétence, d’acharnement, de travail, de sérieux… Ainsi va notre façon de penser commune et humaine. Pourtant, certaines images contraires persistent en nous… où le dernier reçoit parfois autant (voire plus) d’éloges que le premier. Par exemple, quand le dernier coureur, à bout, lutte pour terminer sa course et que le premier, après avoir franchi la ligne d’arrivée, rebrousse son chemin pour aller l’aider. Dans le cas présent, on dira « quel esprit sportif » ! Mais, au final, ce geste, cette image ne persistera que pour ce moment précis. Malgré tout, cet exemple nous permet de saisir l’essence de ce geste qui nous a fait réellement vibrer. En effet, il se révèle être d’une autre nature, car, à ce moment précis, il n’y a pas d’enjeu, juste la relation entre deux personnes dont l’un est dans la peine… ici, l’ordre est effacé. En d’autres termes, il n’y a plus de premier ou de dernier… mais bien, un partage, une symbiose, un abaissement… bref, une leçon de l’humilité.
Cette même leçon, Jésus nous l’enseigne aujourd’hui, en nous plaçant au-delà de l’évidence de nos valeurs habituelles d’être meilleur que les autres en atteignant une première place qui s’avèrera finalement éphémère, car un autre nous surpassera. En effet, dans cet Évangile, Jésus est toujours considéré unanimement comme « Le » premier, par ses disciples, et ce en raison de tout ce qu’il a déjà accompli… « Tu es le Christ », c’est-à-dire le Messie, professait Pierre la semaine dernière. Le Messie attendu et annoncé dans la Bible, dont le destin est de bouter avec force et puissance l’envahisseur romain. Or, en réponse à cet idéal, Jésus annonce à ses disciples sa Passion à venir, en révélant la souffrance qui l’attend, sa mort et sa résurrection, terme qu’ils n’ont pas compris. Voilà pourquoi, une seconde fois, Jésus leur rappelle sa Passion. Toutefois, les disciples sont plutôt préoccupés par autre chose. Ils discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand après Jésus évidemment… Qui siégera sur le podium à côté du « premier ». Comme une institutrice ou un professeur en classe qui repèrerait des élèves inattentifs, Jésus les prend sur le fait : « Qu’est-ce que je viens de dire ? » Il n’obtient pour seule réponse que le silence de ses disciples… sûrement dû à leur honte de ne pas avoir saisi l’importance de son enseignement. Dès lors, en bon pédagogue, Jésus s’abaisse pour rejoindre ses disciples : "Si quelqu’un veut être le premier (sous-entendu : on est d’accord, c’est bien de cela que vous parliez) qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous."
Stupeur des disciples… car par cette simple phrase anodine, Jésus inverse complètement les valeurs habituelles de son temps… de notre temps ... Car, dans notre inconscient collectif, être le "premier" signifie avant tout être le meilleur, dominer, être au-dessus des autres, chercher la reconnaissance unanime et le pouvoir. Or, la logique divine demeure différente, car elle relève non pas de la gloire personnelle, mais de l’Amour divin et universel. Elle dépasse ainsi toute logique humaine en nous engageant sur la voie de l’abaissement, en nous invitant à nous mettre au service des autres. Bref, c’est une véritable révolution de l’esprit : le plus grand, c’est qui s’abaisse, celui qui prend la place de serviteur.
Joignant le geste à la Parole afin d’illustrer son enseignement, Jésus va prendre un enfant au plus près de Lui, à la place tant convoitée par les disciples. Rappelons qu’à cette époque, l'enfant n'avait pas de statut social en raison du taux de mortalité très élevé et surtout, car il dépendait entièrement des autres. De plus, du fait qu’il ne produisait rien, il était souvent considéré juste comme une bouche de plus à nourrir, une charge de travail supplémentaire pour les adultes dont la vie était déjà difficile. Nous sommes donc bien loin de l’enfant-roi d’aujourd’hui dans notre monde occidental. Ainsi, en accueillant l'enfant considéré comme le dernier au centre, au plus près de Lui comme le premier de tous, Jésus invite ses disciples, et nous aussi par la même occasion, à l’humilité ; en accueillant d’abord les plus petits, les plus vulnérables, ceux qui n'ont rien à nous offrir en retour sinon leur vision émerveillée du monde et leur innocence, car ce sont eux qui pourront véritablement nous élever à l’Amour. C’est donc là que réside la véritable humilité : aimer sans attendre un retour, servir sans chercher à recevoir, aimer comme Jésus nous aime non pas une seule fois, mais au quotidien… car l’Amour n’est pas qu’un moment à vivre… mais bien à grandir.
Pour conclure, chers Frères et Sœurs, Jésus nous appelle à l’humilité et l’abaissement par un renversement radical, un retournement de notre vision du monde et des autres en nous plaçant au dernier rang pour les laisser passer en premier, renonçant ainsi à une gloire personnelle et éphémère… c’est-à-dire en utilisant le terme étymologiquement exact : à la conversion. Car in fine l’humilité n’est autre que l’expression du retournement complet de nos cœurs à logique divine de l’Amour. Afin que nous devenions des témoins vivants de l’Amour véritable ; l’Amour qui sert et qui se donne ; à l’image de notre Seigneur Jésus-Christ, le premier ressuscité, qui par humilité ne s’est pas assis dans la gloire à la droite de son Père ; mais au contraire s’est abaissé à nouveau comme le dernier, le serviteur de tous, afin de nous porter et nous élever vers Lui.
Amen. Alléluia.
Abbé Frédéric Kienen
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