25e dimanche du temps ordinaire - 22 septembre 2024
Évangile selon saint Marc 8, 27-35
L’Évangile, aujourd’hui, oppose emprise et domination à serviabilité et simplicité de cœur. À la question des disciples « Qui est le plus grand ? », Jésus leur propose de s’abaisser pour accueillir un enfant. C’est un discours que nous avons mille fois entendu : « les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers » (Matthieu 20, 16) ; « quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé » (Luc 14, 11) ; « Heureux les doux et les humbles de cœur » (Matthieu 5, 1-12). C’est un discours qu’il faut redire et méditer encore, notamment au vu de ce que nous découvrons de la vie de l’abbé Pierre.
Le souci des pauvres, la belle éloquence, le zèle missionnaire peuvent se révéler de jolis paravents qui dissimulent de scandaleux vices, un parfait camouflage pour de terribles péchés. Méfiez-vous de ceux qui mettent en avant leur personne, leur intelligence ou leur charité. C’est déjà une attitude prédatrice de louanges.
Face à nos erreurs, nos fautes, nos péchés voire nos vices, deux attitudes sont possibles : les affronter ou chercher à les dissimuler. D’abord aux autres, et puis à soi-même en se gonflant d’orgueil, pensant ainsi les dissimuler à Dieu. L’attitude noble face à nos erreurs, c’est d’avoir l’humilité de les reconnaître et de faire face à Dieu. L’attitude scélérate, c’est l’enfouissement, le déni et les apparences hypocrites de grandeur que l’on voudra se donner. Et l’Église a, à cet égard, un lourd passif ; elle qui a trop longtemps joué la bonne réputation au détriment de l’accueil des victimes.
Si je dissimule en moi mes fautes, je crée un vide – un petit Enfer – que Dieu ne pourra pas venir combler et que je chercherai à combler moi-même en me nourrissant de compliments, de louanges et d’admiration. Et comme cette attitude est vaine puisque mon péché reste intact, je vais me transformer en prédateur de gratifications et de plaisirs, jusqu’à devenir, faute de trouver-là la consolation de Dieu, prédateur de celles et ceux qui me les procurent. C’est le vide abyssal que laissent nos péchés enfouis et que couvrent nos dissimulations, qui est le moteur de la soif de reconnaissance et de sa dynamique prédatrice. À mesure qu’il y a en soi des failles que l’on ne veut pas voir, que l’on ne veut que ni Dieu ni les autres voient, surgira le besoin viscéral de s’emparer d’innocence, de pureté, de générosité et d’amour pour les combler. Ce faisant, il n’y a qu’un pas pour désirer s’emparer de corps innocents et de vie fraîche pour s’en repaître. On n’a alors rien fait d’autre que tuer l’innocence et la vie, rien fait d’autre finalement que crucifier en soi le Christ. C’est alors qu’on voit ceux qui se sont laissés révérer comme des saints vivants apparaître comme des bourreaux.
Je vais être sévère, mais la gravité de tels assauts m’oblige. Il est toujours suspect, pour un chrétien, de se faire admirer et acclamer. « Ô Père, comme vous avez bien prêché… » « Regarde celui-là comme il est proche des pauvres gens ». Si devant tel prêtre, telle personne religieuse, telle autre engagée envers les pauvres, vous ne voyez pas Dieu – et d’abord Dieu – alors cette personne a failli à sa mission de témoin. Je ne suis pas ici pour me faire admirer, acclamer ou encenser – d’ailleurs, à mon sens, il n’y a pas lieu –, je suis ici pour vous transmettre ce que Dieu m’a donné et, j’espère, rien d’autre. En tous cas rien de ce qui, en moi, n’a pas encore été guéri par lui. Voilà la seule chose admirable : le don de Dieu. Ce n’est qu’ensuite que je peux me réjouir qu’il passe à travers moi. Mais ce que je souhaite, c’est que vous admiriez le don de Dieu et pas d’abord le porteur du message.
L’adulation, le cléricalisme, même l’admiration trop naïve sont des cancers de la spiritualité, en fait de l’idolâtrie. Aucun prêtre, aucun chrétien engagé n’est saint, ni suffisamment proche de Dieu pour recevoir des louanges. Il nous faut au contraire nous méfier de ceux qui exhibent leur charité, qui se laissent volontiers féliciter voire apprécient les couvertures médiatiques élogieuses. Ce sont trop souvent des travestis de la sainteté drapés de fausse humilité, des prédateurs du sentiment de reconnaissance qui ne pourront qu’aller au-delà. N’est-on pas aussi prédateur des pauvres quand on se sert d’eux pour mieux dissimuler ses ténèbres intérieures ? Toujours, il s’agit de s’emparer du malheur des uns pour briller aux yeux des autres dans un échange odieux.
Le témoignage chrétien, pour rester authentique, demande une véritable transparence intérieure et donc l’humilité personnelle de faire en soi cette clarté. Aucun chrétien ne brille par lui-même. Nous ne rayonnons que de l’authentique amour, de l’authentique présence de Dieu. C’est pour cela qu’il faut que, devant lui, humblement, nous abaissions notre orgueil : pour qu’ainsi, à travers nous, il puisse surgir mieux.
Nos péchés ne se dissolvent pas dans la reconnaissance mondaine, au contraire, elle en amplifie le paradoxe et nous le constatons encore dramatiquement aujourd’hui. Dieu seul est admirable en nous. Nous ne sommes grands que de sa grandeur et donc de notre humilité personnelle. Voilà la sainteté.
— Fr. Laurent Mathelot OP
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