Au petit matin…
- Michel Teheux
- il y a 5 jours
- 3 min de lecture
3e dimanche de Pâques - 4 mai 2025
Évangile selon saint Jean 21, 1-19

« Alors Simon-Pierre passa son vêtement et il se jeta à l’eau »…
Il flotte dans ce matin de printemps comme un air d’exagération, un élan qui même au-delà du raisonnable. On pressent que quelque-chose s’est passé, qu’il est arrivé quelque-chose qui fait perdre la tête, une passion qui bouleverse les évidences et convertit les valeurs ».
Pierre, m’aimes-tu plus que ceux-ci » ? S’il s’agissait de fonder l’Église sur la pierre de la raison, ce n’est pas ainsi qu’on parlerait : il est bien connu qu’en affaires, « le trop nuit en tout » » On ne peut élaborer des programmes de redressement économiques sur la prévision de pêches miraculeuses et quand on se retrouve devant le Grand Conseil, accusé de jeter le trouble dans la population, il conviendrait de plaider les circonstances atténuantes et de mettre de l’eau dans son vin. Quand je vous disais que flottait ce matin un air d’exagération et de déraison…
Le jour de la Pentecôte, la foule accusa les apôtres d’être ivres de trop de vin tant ce qu’ils disent est au-delà de la raison !
« Pierre, m’aimes-tu », Et toi, toi, et toi, m’aimes-tu ?
C’est le premier matin, sur le bord du lac de Galilée, les montagnes de Transjordanie deviennent roses puis ocres avant d’éclater de blondeur.
L’Église, qui mène sa barque au gré des siècles et de l’histoire, se retrouve bredouille : il faudra refaire les plans et mieux étudier les bancs de pêche et de poissons…
C’est le petit matin avec des relents de nuit.
C’est le petit matin, on n’y voit pas très clair. Quand Jésus quittera les siens on pourra se demander si c’est bien vrai et si la raison ne s’est pas laissée égarée par des coups au cœur, n’a-t-on pas rêvé ?
Et pourtant 153 gros poissons, une plénitude, un feu de braises et un goût de pain sur les lèvres seront là pour attester qu’il est passé.
Et qu’il s’est passé quelque-chose.
Et surtout, dans la mémoire de Pierre, il y a cette triple question, et cette triple réponse, audacieuse, éperdue, qui a fait place au triple reniement été à la triple négation :
« Je t’aime ».
C’est le petit matin, on n’y voit pas encore très clair et dans le cœur l’amour ose donner une réponse aux questions de la foi.
Qui donc a préparé ce feu et ce repas ?
Qui est-il donc cet homme sur le rivage qui vous demande : « M’aimez-vous » ?
C’est le petit matin et dans le clair-obscur d’un soleil levant l’Église s’abandonne aux mots de l’amour et de la foi.
Car la foi n’est pas surconsommation de certitudes ; elle est fragile et se nourrit d’un peu de pain, de quelques mots amoureux.
La foi n’est pas un programme ou une évidence, elle ose se risquer sur l’annonce d’une
pêche miraculeuse.
Elle est de l’ordre du cœur, non des démonstrations, de la rencontre qui convertit, non
des ajustements calculés.
Au petit matin, il y a, pour susciter la foi, l’élan du cœur, du disciple bien-aimé : « C’est le Seigneur » !
Un cri jailli du cœur de Jean, un cri traversant tout le Nouveau Testament : Christ est
Seigneur.
L’écho en est vaste dans le temps et dans l’espace. Il a rempli tout l’univers et transformé
le cours de l’histoire.
Aujourd’hui encore il résonne dans notre assemblée pour faire vibre nos cœurs en
harmonie avec lui.
Il ne s’épuisera pas ce cri de la reconnaissance. Il se transmettra d’âge en âge,
jusqu’à ce qu’il soit devenu l’action de grâce de toutes les créatures réconciliées dans
le Christ.
« C’est le Seigneur » ! Au petit matin, tandis que les collines de Jordanie deviennent roses au soleil levant, l’Église s’abandonne à l’élan de son cœur et de sa foi.
Face aux procès des hommes forts de leurs certitudes et de leurs évidences, assurés de
leurs calculs et de leurs programmes, l’Église ressuscite au bord du rivage du lac de
Galilée, car là, à chaque génération, des hommes et des femmes entendent quelqu’un
leur demander : « M’aimes-tu » ?
Des hommes se jettent à l’eau et n’ont rien d’autre à dire pour s’expliquer que ceci :
« Tu sais bien que je t’aime ».
Et sans rien demander de plus, Jésus leur dit simplement « Venez déjeuner » !
Dans le clair-obscur du matin naissant, nous n’avons pour assurer notre foi balbutiante que cette invitation : Venez tout est prêt pour le repas. Le goût du pain et la mémoire de notre cœur sont les seuls appuis de ce qu’affirme notre cœur, car rien ne pourra nous empêcher de dire, dans nos joies et dans nos peines :
« C’est le Seigneur » !
Michel Teheux