Évangile de Matthieu (18, 15-20)
Gagner le monde
Drame de la personne ! Mais plus encore drame de l’Église !
Le péché n’est pas seulement une affaire individuelle et personnelle, il concerne la totalité du corps. Le dramatique enfermement du pécheur sur lui-même, évoqué par l’Évangile, met bien en lumière l’être profond de la communauté des disciples du Christ. Habitée par le Ressuscité, l’Église est le lieu où se manifeste la miséricorde divine et le soin qu’elle prend de celui qui s’égare est à l’image de la sollicitude de Dieu pour le pécheur. Plus l’Église est déjà ainsi le lieu dans lequel le salut prend corps ; elle est en quelque sorte un « milieu » où Dieu donne la vie et la fortifie.
Lorsque les frères prennent soin les uns des autres, ils rendent manifeste l’être de l’Église et contrecarrent ainsi la puissance du mal. Le péché est dispersion, il crée l’opposition ; la charité fraternelle recrée le tissu déchiré. L’Église vit de la sollicitude mutuelle et c’est ainsi qu’elle devient témoignage vivant, sacrement du salut, renforcement de l’alliance de Dieu avec les hommes.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit et c’est cela qui est en jeu. Le chrétien est par caractère un être communautaire parce que les autres nous aident à vivre. Ce n’est pas peu de chose, mais il faut aller plus loin. Lorsque Jésus forme une communauté de disciples, il lui assigne un rôle prophétique, celui de visualiser le grand projet de Dieu sur l’humanité : faire passer les hommes de la dispersion à la communauté, de Babel à l’Église de la Pentecôte où chacun entend proclamer dans sa langue les merveilles de Dieu.
Voilà ce qui est en jeu dans la réconciliation confiée à l’Église et on comprend la violence de Matthieu : prendre souci du frère, c’est donner corps à la communion qui définit l’Église et c’est, par-là, donner chair à l’œuvre de réconciliation qui est le projet même de Dieu sur le monde. Lorsque nous prenons soin de celui qui s’égare, nous rendons manifeste la dignité du baptisé qui est l’avenir de tout homme. Lorsque nous soutenons celui qui faiblit, nous relevons déjà tous ceux qui ploient sous le poids de la fatalité, de la déchéance ou de la facilité.
L’attention que nous portons les uns aux autres devient sacrement. Car en elle est consacrée déjà tout effort de communion, de fraternité, d’humanisation. Dans cette charité qui définit l’Église s’esquisse déjà le monde nouveau, le Royaume. Car là, qui est l’autre nom de l’Alliance : la communauté chrétienne est un lieu prophétique, en avance sur son temps, où s’expérimente déjà quelque chose de l’éternité.
« Si ton frère a péché, prends soin de lui… »
Il en va de l’Alliance de Dieu. Tant de forces de dispersion sont encore à l’œuvre dans le monde, tant de choses divisent encore les hommes. Comment pourra-t-on croire que Dieu n’a pas renoncé à son projet, constituer l’humanité en un peuple de frères, si des hommes et des femmes, au nom de Jésus Christ ne s’intéressent pas les uns aux autres, s’il n’y a en ce temps déjà des flots de paix et d’amour mutuel ?
Comment pourra-t-on croire à la tendresse si on ne la voit quelque part à l’œuvre ?
L’amour s’apprend de l’amour. Dans un regard bienveillant, une oreille attentive, des bras accueillants. Tant de personnes meurent à cause d’un regard dur, de lèvres pincées, d’un jugement impitoyable.
Si tu vas vers ton frère, non seulement tu l’auras gagné, lui, mais tu auras fait avancer le monde vers le bonheur éternel.
Michel Teheux