Dimanche de la Résurrection - 31 mars 2024
Nous avons évoqué hier la vie spirituelle comme un mouvement de balancier, tantôt tournée vers Dieu, tantôt vers nos tombeaux, nos ténèbres et nos démons. Le propos d’une vie religieuse, c’est d’atténuer ce mouvement de balancier, de rester dans la lumière, de rester en Dieu.
Il est difficile de maintenir son cœur dans l’amour, une fois que la joie de vivre disparaît. Il est difficile de rester patient et charitable, alors qu’on s’affronte aux ténèbres de son âme et que chaque élan vital est un combat.
Vendredi, nous nous sommes penchés, avec dégoût, sur l’immonde de la crucifixion, et principalement sur le Christ qui a subi les pires humiliations. Il s’était pourtant humilié lui-même ; il s’était abaissé pour nous laver les pieds. Ça n’a pas suffi.
La foule a été prompte à passer des joyeuses acclamations – « Hosanna, fils de David » – à la volonté de le tuer. Le peuple soumis à de profondes inquiétudes est d’humeur changeante. Il leur fallait une victime expiatoire afin d’exorciser leurs peurs, un bouc émissaire pour leur révolte. C’est sans doute le propre de l’humain de se donner des victimes à sacrifier. Finalement, à force de ténèbres et de désespoir, vouloir souiller ce qui est beau, rayonnant, lumineux (cf. René Girard, « La violence et le sacré »).
Le but de la vie religieuse – et nous avons tous une vie religieuse, une vie de foi concrète – c’est la fin du yo-yo spirituel qui nous voit errer de joies en déceptions, d’effondrements en résurrections. Le but de la vie spirituelle chrétienne c’est la stabilité affective, être tout le temps dans la lumière, tout entier en Dieu.
L’Histoire biblique que nous avons à nouveau parcourue hier, lors de la vigile pascale, nous montre un Dieu qui, au fil des alliances, se rend de plus en plus proche de son peuple, jusqu’à s’incarner pour venir nous dire son amour. Voilà la vie spirituelle chrétienne : se rapprocher du Christ, vivre une proximité avec lui, jusqu’à ce que son amour ne nous quitte plus.
Face à la violence, aux blessures et à la souffrance, face aux ténèbres et aux deuils qui nous assaillent, nous nous posons bien souvent beaucoup de questions qui toutes se résument en un « Pourquoi ? » : « Pourquoi est-ce que je souffre ? » ; « Pourquoi ne suis-je pas heureux ? » ; « Qu’ai-je donc fait pour mériter ça ? ». Le propre des ténèbres c’est de nous empêcher de voir clair.
Quand la vie s’assombrit et que l’espérance décline, a fortiori au fond de la dépression et du désespoir, la question n’est pas « Pourquoi moi ? » ; la question est « Où est Dieu ? », « Où est Dieu en moi ? ». Pour le dire autrement, au fond de la ténèbre, la question n’est pas de se mettre en cause – ou les autres, ou le monde, ou la fatalité. La question est : « Où est l’amour du Christ en moi ? » ; « Comment le retrouver ? ». Car c’est lui qui ressuscite. Pour le dire encore autrement, la vie n’est pas tant un combat contre la souffrance et les maux, que se laisser rejoindre par le bien.
À chaque chute, rechercher l’amour de Dieu, à chaque faux-pas affectif, désirer retrouver le Christ en nous, à chacun de nos désespoirs retrouver sa joie d’aimer, Dieu qui se fait de plus en plus proche. Puisque son humiliation sur la Croix nous montre qu’il veut tout rejoindre.
Nous ne ressusciterons pas de nos tombeaux par nous-mêmes, en menant seuls et dans le noir des combats. C’est l’amour du Christ vivant en nous qui nous ressuscite, la joie d’être aimés par Dieu. Au creux des ténèbres, chercher Dieu. Au fond de la souffrance, trouver son amour. Face à la violence, incarner le Christ. Voilà les prémices d’une résurrection. À mesure que nous nous y tiendrons, la ténèbre ne nous vaincra pas.
Je peux témoigner qu’aux désespoirs les plus profonds correspondent les conversions les plus éclatantes ; je peux témoigner – et pas seulement personnellement – de brebis perdues retrouvées par le Christ, de vies de ténèbres revenues à la lumière éclatante.
Ressusciter ce n’est pas d’abord se battre. Le bonheur ne se conquiert pas. Ressusciter c’est d’abord trouver Dieu en toute circonstance : dans les joies comme dans les peines, dans la vie comme dans la mort.
Ressusciter c’est aimer Dieu et vivre de son amour. Le reste ira naturellement de soi…
— Fr. Laurent Mathelot OP