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Photo du rédacteurFr. Laurent Mathelot, o.p.

Unifiés par l’Esprit

10e dimanche du temps ordinaire - 9 juin 2024

Évangile selon saint Marc (3, 20-35)



L’idée est fort répandue parmi les croyants que, puisque Dieu est bon, il sauvera tout le monde. Comment Dieu, s’il est véritablement miséricordieux, pourrait-il laisser un seul de ses enfants aller à sa perte ? N’est-ce pas plutôt, comme disait la chanson : « Nous irons tous au Paradis » ?


Récemment, le pape François affirmait : « J’aime penser que l’enfer est vide ; j’espère qu’il l’est ». C’est en effet le maximum que nous puissions faire : espérer. Parce que de certitude que tout homme sera sauvé, nous ne pouvons en avoir. Certes Dieu désire le salut de tous, mais il nous a aussi créés parfaitement libres – et donc libres de le renier.


Cette idée qu’à la fin Dieu pardonne tout oublie que le Nouveau Testament parle de séparer le bon grain de l’ivraie, de trier les boucs des brebis, jusqu’aux récits de la Passion qui distinguent le bon du mauvais larron à l’entrée du Paradis.


L’idée que finalement Dieu pardonnera tous les péchés vient en fait d’une mauvaise compréhension de sa miséricorde qui oublie le don total de la liberté. Dieu pardonnera tout – c’est ce que dit l’Évangile d’aujourd’hui – tout, sauf le mépris de l’Esprit Saint : « Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. »


C’est ce que font les scribes qui accusent Jésus d’être animé d’un esprit impur, d’être possédé par Béelzéboul. Ils blasphèment contre l’Esprit Saint en le comparant à Satan, l’esprit de division. Faisant ainsi, ils empêchent l’Esprit Saint de les rejoindre : qui voudrait en effet être possédé par l’esprit d’un démon ?


Dieu est miséricordieux – infiniment miséricordieux – c’est vrai. Mais il ne peut rien faire pour aider quelqu’un qui refuse à son Esprit Saint de pouvoir agir, pire qui l’en empêche. Jusqu’à la fin, chaque homme, chaque femme peut rejeter l’amour de Dieu, le salut offert par le Christ. A coté de l’infinie miséricorde, voici l’infinie liberté qui la précède : chacun, nous sommes libres d’empêcher l’Esprit de Dieu de nous rejoindre : il suffit simplement de le disqualifier, de voir Dieu finalement comme un mauvais esprit, un principe nuisible, voire simplement un empêcheur de vivre.


Cette infinie liberté, on la retrouve dans la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche (Mt, 19,16–30 ; Mc, 10, 17–31 ; Lc, 18,18–30), qu’il laisse partir. On la retrouve aussi en filigrane de la parabole du fils prodigue (Lc 15:11–32) qui aurait pu ne jamais faire demi-tour et revenir vers son Père.


Cette dénonciation du péché contre l’Esprit Saint est l’occasion pour Jésus de renverser la logique de pureté religieuse qui était alors celle du peuple juif. Vous savez sans doute que plus on s’approche du Temple de Jérusalem, a fortiori du Saint des Saints, plus il s’agit d’être rituellement pur. Et que cette pureté s’entend avant tout du corps. De là, les nombreuses piscines alentour pour se purifier, de là tous les estropiés, les malades et les lépreux laissés au-dehors. Dans le judaïsme ancien, c’est avant tout le corps qui est le lieu d’impuretés.


Alors que, pour Jésus, ce qui est impur c’est d’avoir un esprit divisé, peu importe l’état du corps qui pourra être malade, souillé ou même mort. « Si un royaume est divisé contre lui-même (…) il ne peut pas tenir ; c’en est fini de lui. » C’est par l’esprit que vient la corruption.


Et déjà, le récit de la Genèse faisait ce lien entre péché contre l’Esprit de Dieu et division. Le couple Adam et Eve se divise après avoir enfreint le commandement de ne pas goûter au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Devant Dieu, Adam se défaussera lâchement sur Eve qui se défaussera à son tour sur le serpent, qui tient ici le rôle de Satan, l’esprit diviseur. Ensuite, ils se cachent de Dieu : et voilà le péché contre l’Esprit à l’œuvre.


Dieu ne pourra pas pardonner si on décide de se cacher de lui. Dieu ne pourra pas pardonner si on empêche son Christ de nous rejoindre. Dieu ne pourra pas pardonner si on dénie à son Esprit le droit d’agir.


Le blasphème contre l’Esprit Saint constitue de fait une rupture définitive du lien avec Dieu. Déjà, dire que l’Esprit Saint est impur – notamment affirmer que la religion est dangereuse comme on l’entend de plus en plus de nos jours ou soutenir que l’idée-même de Dieu est nuisible : voilà le genre de blasphème qui rend l’action de Dieu impossible en soi.


Dans l’Église aussi on peut se cacher de Dieu. C’est même un excellent endroit pour se dissimuler, quand la prière et la morale perdent leur sens, qu’elles cessent d’être rencontres pour devenir égoïsmes. Adam et Eve étaient dans le paradis quand qu’ils se cachaient de Dieu.


Enfin, dans sa lettre aux Corinthiens, Paul parle de ce qu’est « être divisé en soi » : c’est détacher les épreuves que l’on vit de la présence de l’Esprit Saint ; être divisé, c’est perdre courage, sombrer dans la détresse, abandonner tout espoir. Être divisé en soi, c’est tellement s’attacher à ce qui se voit qu’on se détache de ce qui ne se voit pas ; c’est s’attacher au provisoire et se détacher de l’Éternel. Perdre le sentiment d’être aimé de Dieu, perdre son Esprit consolateur au point de le mépriser, voilà la division qui nous menace.


Aujourd’hui les lectures nous invitent à préserver notre unité d’Esprit avec Dieu. Pour ce faire, je vous suggère un petit exercice spirituel, méditer ces simples phrases : il y a en moi quelque chose d’éternel ; il y a en moi quelque chose d’incorruptible ; il y a en mon âme une pureté qui demeure et qui est le souffle de Dieu, l’Esprit Saint qui me parle, qui m’aime et désire m’emporter.

 

— Fr. Laurent Mathelot OP




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