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Photo du rédacteurMichel Teheux

Treizième dimanche du temps ordinaire

Dernière mise à jour : 13 sept. 2023

La rudesse de la croix



Ils étaient partis sur la foi en la parole de cet homme. Parole directe d’un provocateur : « Le Royaume est arrivé jusqu’à vous » ! Parole d’autorité, comme celle des anciens prophètes parlant au nom de Dieu. A sa parole, il joignait les actes : « je fais et je dis », comme Dieu dont la parole est créatrice. Les aveugles étaient rendus à la vue, les paralysés étaient debout, les pauvres retrouvaient une espérance inattendue. Signe du Royaume en marche : « Le Royaume est arrivé jusqu’à vous » !

Le discours de Jésus aux disciples se termine et ceux qui ont suivi le Maître de Nazareth savent à quoi s’en tenir : ils avaient mis la main à la charrue et aujourd’hui il les avertissait : plus question de revenir en arrière. Il faut se décider, vraiment : « Que ton oui soit oui, que ton non soit non » ! L’urgence du Royaume presse Jésus.

« Le Royaume est arrivé jusqu’à vous… ! Si, par le baptême dans sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi… Pensez donc que vous êtes vivants pour Dieu en Jésus-Christ ». La route qui est proposée aux disciples se dessine donc avec netteté : c’est la voie de la croix et de l’amour vécu dans sa radicalité. La loi des disciples n’est pas un aménagement des règles anciennes, elle s’identifie avec un homme qui marche vers une colline qui sera tout en même temps lieu d’offrande et lieu de glorification, Golgotha et Mont de la Transfiguration.


Les mœurs qui s’inscriront dans la logique du Royaume ne seront jamais évidentes, car ce royaume n’est pas comparable au monde. Le disciple s’identifiera au Maître faisant de l’amour un véritable réflexe de vie. Aimer systématiquement sera le programme. Jésus met devant eux un geste qui est parmi les moins significatifs en soi, un geste banal, donner un verre d’eau. Il dévoile ce qui est engagé dans une attitude pourtant ordinaire : c’est, par anticipation, le mémorial du Jeudi Saint qui est livré. Le verre d’eau offert est élevé à la dignité du sacrement des temps nouveaux comme le lavement des pieds sera le testament du Seigneur appelé à réaliser sa présence réelle aux disciples devenus orphelins. Le « monde » livre l’amour aux caprices de nos humeurs, il abandonne la tendresse aux aléas de nos fidélités – on essaiera, on verra- le « monde » tolère les exclusives et les murs d’intolérances, il se fait une raison des dessèchements et des malformations de nos cœurs.


La loi du « Royaume » est toute autre : « Aime sans mesure ». L’amour devient signe distinctif lorsqu’il s’inscrit dans la logique de Celui qui a tout donné pour être le Maître.

La Loi des disciples a la rudesse de la croix. Elle n’est pas une série de commandements qui s’imposeraient à nous de l’extérieur sous peine de sanctions, mais une Loi vivante, une Personne : « Celui qui ne se met pas à ma suite n’est pas digne du Royaume » ! « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons aussi que nous vivrons avec Lui » !

Si le prophète de Nazareth peut exiger autant, c’est parce qu’il est en nous la Règle vivante. La loi nouvelle est épanouissement et salut pour le disciple ; elle est vie, et cette vie, c’est le Christ lui-même. La loi du disciple est une imitation du Fils unique parce que le disciple ne fait qu’un avec le Maître. La loi qui anime l’Église, qui devrait être l’expression de son âme, doit être exigeante parce qu’elle est une des expressions possibles du chemin ardu proposé par l’Évangile ; mais elle ne peut être exigeante à ce point que parce qu’elle est la vie même du Ressuscité qui est son souffle vital.

Car c’est parce que le Christ est entré en nous comme réconciliation et pardon, que, du dedans de nous, il nous sollicite à être ambassadeurs de réconciliation. C’est parce que le Christ ressuscité est entré en nous comme fidélité et amour sans réserve, que, de dedans de nous, il nous rend capable d’accueillir l’autre comme un frère. L’intimité du temps de Pâques entre le Christ et ses disciples et le don qu’il leur fait de son Esprit pour les animer, les mettre debout et les rendre vivants transfigure la rudesse avec laquelle il leur parfait aux premiers jours de leur vocation et que Saint Matthieu a fait retentir jusqu’à nous.

Si Jésus peut être aussi exigeant été si la parole qui appelle les disciples est toujours un glaive à deux tranchants, c’est qu’il est aussi le Seigneur vivant d’une communauté dont il n’est pas le juge extérieur, mais le modèle intérieur, c’est qu’il est en même temps la tête du corps et le corps tout entier. Il pose devant nous, en face de nous, une parole rude, il inscrit en nous un feu qui épure au creuset parce qu’il est aussi en nous, souffle qui nous soulève et feu qui réchauffe : le Maître qui nous tire sur la route du calvaire est aussi celui qui nous donne de pouvoir pratiquer l’Évangile.


Les disciples que nous sommes seraient condamnés à la désespérance au regard d’une loi impraticable si le Maître n’était en même temps leur Frère et leur Sauveur.


L’Évangile n’est pas une loi exigeante que parce qu’il est en même temps notre mystique, celle de notre union au Christ.

Michel Teheux




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