Nativité du Seigneur - Évangile selon saint Jean (Jn 1, 1-18)
C’est le soir où la lumière divine est apparue au monde et presque personne ne s’en est aperçu. Aujourd’hui, on célèbre Noël tout autours de la planète et on peut espérer à travers le monde beaucoup de festivités et de joie. Mais il y a deux mille ans, la venue du Seigneur a été un évènement tout discret, particulièrement intime : un petit enfant est né dans une mangeoire parce que personne ne lui a fait de la place.
Replongeons-nous dans l’esprit de ce soir-là. Un moyen de le faire est de nous imaginer personnage de la crèche. Peut-être, d’abord, suis-je un des personnages absents, comme ceux qui ont refusé de céder leur place à l’étage, laissant le Christ naître à l’étable, parmi les bêtes, quelqu’un qui ne veut pas être dérangé par la venue de Dieu ? Peut-être suis-je, comme les bergers, des ces gens simples, sans grandes prétentions, qui se laissent guider par l’élan de leur cœur pour trouver Dieu ? Peut-être suis-je l’âne ou le bœuf, une bête têtue ou une bête de force qui viennent pourtant paisiblement se coucher auprès de l’enfant-Dieu? Peut-être suis-je comme les mages venus d’Orient, venus humblement déposer leurs trésors de sagesse devant le mystère de l’incarnation de Dieu. Peut-être suis-je comme Joseph, qui doit mener un combat intime pour reconnaître comme ma chair, ce Jésus qui surgit dans ma vie ? Peut-être suis-je comme Marie, qui engendre Dieu au monde sans nécessairement comprendre toute la plénitude de ce qui se joue en moi ? On trouve dans la crèche, une prodigieuse diversité d’états, qu’il nous arrive tous, sans doute, à un moment de notre vie spirituelle, d’incarner.
Enfin et surtout, l’Esprit de Noël, c’est se mettre à la place de ce petit enfant en qui la divinité s’incarne. Avant tout, l’enfant de la crèche, c’est nous. C’est à travers nous que Dieu veut surgir au monde aujourd’hui, à travers l’innocence de notre âme, à travers la fragilité de notre vie, à travers la beauté de qui nous sommes à ses yeux.
C’est encore nous, cette innocence d’aimer qui n’est parfois pas accueillie. C’est encore nous, cette pureté enfantine que la méchanceté du monde viendra blesser et crucifier. C’est encore nous, dont la présence aimante s’affronte parfois à l’indifférence ou au mépris.
Il reste un personnage de la crèche que nous n’avons pas encore cherché à incarner : Dieu lui-même, souvent représenté par un ange. Dieu est éternel et, ce soir, il accepte d’affronter les aléas du temps. Dieu est tout-puissant mais il endosse aujourd’hui la fragilité humaine. Dieu est impassible et immortel et pourtant il accepte d’endurer la souffrance et la mort. A Noël, Dieu se dépouille de lui-même par amour pour l’humanité – pas l’humanité comme un concept, notre humanité personnelle, aujourd’hui, là, maintenant – notre esprit, notre corps et notre âme. Aujourd’hui, Dieu donne tout ce qu’il est pour surgir en nous : « moi, le Dieu tout-puissant, je suis aussi la fragile étincelle de ton cœur, la pureté de ton amour, la source enfantine de toutes tes joies, la petite étoile qui scintille au fond de toutes tes nuits ».
S’il vous plaît, un instant, laissons de côté les images que nous avons de Jésus adulte et voyons l’amour du Père comme un fragile nouveau-né qui nous serait confié. Voilà notre âme comme une crèche. Au fond de chacun de nous, au fond de chacune de nos âmes, il y a la présence totale et totalement fragile de l’amour tout-puissant de Dieu pour l’humanité. C’est fondamentalement comme ça que nous sommes intimement aimés par Dieu, comme des nouveaux-nés qui lui sont confiés. Et c’est fondamentalement comme ça que nous devons intimement aimer Dieu, comme un nouveau-né dont l’amour nous est confié.
Le sentiment de présence de Dieu dans nos vies, dans notre cœur et dans le monde est fragile. La pureté de nos intentions est fragile. Nos élans d’amour sont fragiles. Notre intimité avec Dieu est fragile. La pure joie du cœur est fragile. La paix est fragile. Vienne la méchanceté, à mesure qu’elle nous agresse, et la fragile présence de la toute-puissance d’amour de Dieu pourrait bien vaciller en nous voire, telle une bougie, s’éteindre.
A ceux qui souffrent, à ceux qui se sentent seuls ou délaissés, à ceux que les épreuves accablent, à ceux, ici, pour qui il n’y aura pas de repas de famille et ceux qui n’ont peut-être pas de toit sous lequel dormir ce soir, à ceux qui sont venus ici en marchant dans les ténèbres, à toi, au fond de ta nuit : c’est Noël. Dieu t’aime tellement qu’il se confie à toi comme la fragile présence d’un enfant. C’est dire s’il a confiance en ton amour pour lui.
C’est Noël, où nous célébrons la fragile lueur divine dans notre nuit. C’est Noël, où nous fêtons la fragile toute-puissance de Dieu dans nos vies. C’est Noël, où Dieu murmure en chacun de nous : « je t’aime et je veux naître en toi, me confier à toi, vivre en toi, aimer à travers toi, me réjouir en toi, souffrir avec toi, grandir avec toi, mourir avec toi et encore être avec toi au-delà de la mort. Je veux t’aimer pour l’éternité et, fragilement, je me confie à chaque instant de ta vie, à toute ton humanité ».
Noël, c’est le jour où nous célébrons la pureté fragile de la présence incarnée de Dieu dans nos vies. Prenons encore un temps pour méditer et célébrer intérieurement, ce que nous fêtons aujourd’hui : la présence intime, fragile comme un nouveau-né, en chacun de nous, de la toute puissance d’amour de Dieu.
— Fr. Laurent Mathelot OP