4e dimanche du temps ordinaire - Évangile selon saint Marc 1, 21-28
Si quelqu’un n’a rien d’étonnant, je dis qu’il n’est pas chrétien. Le chrétien est précisément celle ou celui qui, quelque part, doit dénoter, surprendre, interroger. Être chrétien c’est autant être soi qu’une présence, particulière de Dieu qui s’incarne.
« Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : ‘ Qu’est-ce que cela veut dire ? ‘» Le Christ, nous raconte l’Écriture, ne laisse pas les gens indifférents : il est étonnant. Le chrétien est celui qui a toujours quelque chose d’étonnant en lui, qui pose question, qui entre quelque part en contradiction avec l’esprit du monde. À mon sens, un chrétien ne devrait jamais passer totalement inaperçu. Au fond, c’est la parole de l’Évangile : en quoi différons-nous des autres, si nous n’aimons que celles qui nous aiment, que ceux qui nous font du bien ? [Mt 5, 46-47 et Lc 6, 32-35]. Il doit y avoir chez tout chrétien une façon particulière d’aimer, qui se voit et qui surprend.
« Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée. » C’est parce qu’à bien des égards, il est étonnant par rapport à la culture ambiante, que le christianisme se répand. Et si, aujourd’hui, chez nous, sa renommée est fort ternie, c’est sans doute parce que ceux qui se revendiquaient de l’Église n’avaient plus rien d’étonnant, qu’ils n’apparaissaient finalement pas bien différents d’autres, qui ne croyaient pas.
Et on comprend bien le désintérêt : à quoi bon s’imposer rites et catéchismes si notre religion n’a rien d’extraordinaire, qui suscite l’étonnement, l’émerveillement et l’attrait ? À quoi bon pratiquer, si notre foi ne bouleverse rien ; ne change rien ; ne surprend pas ? Qu’est-ce qui étonne encore du christianisme aujourd’hui ? En quoi, en tant que chrétien, suis-je surprenant ? Au fond, quel est mon témoignage de l’Évangile en ce monde ?
Marc nous raconte que le premier acte posé par Jésus, à peine a-t-il appelé ses premiers disciples, est un exorcisme : à la synagogue de Capharnaüm, il guérit un homme tourmenté par un esprit impur. Bien sûr, il est dit qu’avant, Jésus enseignait et qu’« on était frappé par son enseignement » mais, à ce stade, l’Évangile ne rapporte aucune des paroles enseignées par Jésus. À dessein, Marc place délibérément l’acte avant la parole.
Son propos est d’établir d’emblée l’autorité de Jésus. Pour ce faire, il utilise un artifice rhétorique qui consiste à placer dans la bouche d’un démon ce que le texte veut que nous comprenions, à savoir que Jésus est le « Saint de Dieu ». Si même les démons l’admettent, a fortiori toute personne sensée… De ceci, on peut tirer plusieurs enseignements.
D’abord que l’autorité ne s’affirme pas de soi. On ne se proclame pas tant sauveur que l’on est reconnu sauveur ; on ne se proclame pas tant parent que l’on est reconnu parent ; on ne se proclame pas tant religieux que l’on est reconnu religieux ; on ne se proclame pas tant chrétien que l’on est reconnu chrétien.
Mais surtout, que l’autorité ne s’affirme pas mais s’établit d’abord en acte. C’est parce qu’on est sauveur en acte, parent en acte, religieux en acte, chrétien en acte que l’on est reconnu tel. Je ne suis pas chrétien simplement parce que je le proclame ; je suis chrétien parce que, par mes actes, je le montre. Le Christ ne se proclame pas tant sauveur que pratiquement il sauve. Il n’est pas tant nécessaire de proclamer l’amour que d’aimer.
Au fond, l’affirmation de cet évangile, c’est que la querelle sur la foi et les œuvres n’a pas lieu d’être. Rien, au sein du christianisme, ne permet de distinguer la foi des œuvres. Elle n’a rien de théorique notre foi et tout de pratique. Elle est un élan du cœur, vers Dieu et vers les hommes, qui concrètement sauve. D’ailleurs, plus loin dans l’Évangile (3, 5 ; 6, 52 ; 8, 17), Marc révélera que le véritable esprit impur n’est autre que le cœur humain endurci, inerte, qui finalement n’agit pas par amour.
Ainsi l’autorité de Jésus s’établit d’elle-même. Avoir autorité c’est d’abord faire impression sans parole, ou préalablement à toute parole, par des actes. Autrement dit, l’autorité s’exerce quand la parole est acte et que l’acte est parole, quand il y a telle adéquation des deux qu’on ne les distingue plus.
Le monde actuel vit une crise de l’autorité. À qui encore se fier de nos jours ? N’assistons-nous pas, de toutes parts, à une chute des élites : religieuses, philosophiques, politiques, scientifiques et même artistiques ? Qui parle encore aujourd’hui avec autorité ? La crise actuelle n’est-elle pas précisément celle du leadership ?
L’autorité de la religion, des parents, des professeurs, des journalistes, des politiques, de la science même : tout ça est remis en cause aujourd’hui. Advienne quelque prêcheur de renouveau quelque peu radical et des foules considérables s’apprêtent à le suivre. Survienne n’importe quelle fake news et ils sont pléthore à y donner foi. Dieu lui-même parle-t-il encore à l’Occident ? Sans parler de l’Église… Quelle autorité conserve-t-elle aujourd’hui ? Celle du seul pape François ?
Si jadis l’Église a pris l’ascendant sur l’Empire romain qui la persécutait, ce n’est pas avec des discours, ni par l’affirmation de soi, ni même grâce à la beauté de son message. Si l’Église a pu recevoir par le passé quelqu’autorité, c’est parce qu’elle s’est instituée service social : agent de guérison et de résurrection. Le reste n’est que théorie.
Avant toute chose, être chrétien ce n’est pas dire, c’est agir. Le Christianisme n’est pas tant parole ; qu’acte d’aimer.
— Fr. Laurent Mathelot OP