15e dimanche du temps ordinaire - 14 juillet 2024
Évangile selon saint Marc (6, 7-13)
Il n’avait pas demandé à être prophète, le jeune Amos. Comme il est dit dans la première lecture : « j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ ». Il n’avait pas demandé à être envoyé dans le Royaume du Nord pour aller y dénoncer l’idolâtrie et les prières hypocrites des riches et des puissants. Il n’avait rien de particulier le jeune Amos ; il était simplement le gardien d’un troupeau de vaches.
Il n’avait rien demandé non plus, le jeune David quand le prophète Samuel lui donna l’onction royale : il était un jeune berger, le petit dernier de très nombreux frères qui tous avaient la préséance sur lui. Il n’avait pas demandé à être roi ; tout ce qu’il espérait c’était une vie nomade et pauvre, de pâturages en points d’eau.
Notez que Moïse non plus, qui lui aussi était gardien de troupeau, n’avait rien demandé quand Dieu s’adressa à lui dans le Buisson ardent. Il vivait très confortablement sans Dieu, Moïse.
Ils sont nombreux les personnages de l’Ancien Testament à voir leur vie radicalement bousculée par un ordre ou une mission que Dieu leur confie : Abraham auquel Dieu commande tout bonnement « Va ! Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père et va vers le pays que je te montrerai. » (Gn 12, 1) ; mais aussi Jonas qui se montre – c’est le moins que l’on puisse dire – très réticent à l’idée d’aller convertir Ninive comme Dieu le lui demande.
De même, avant de professer ce superbe hymne christologique qu’il transmet aux Éphésiens, saint Paul avait un tout autre projet de vie en allant vers Damas. Ce n’était pas du tout dans ses ambitions de devenir apôtre. Pas plus que ce n’était l’ambition de Pierre, Jean, Matthieu et des autres : « Toi, viens avec moi ! » ; « Toi, suis-moi ! ». Ils étaient collecteurs d’impôts, serviteurs ou simples pécheurs. Ils n’avaient rien demandé et certainement pas une vie de persécutions, de privations et de souffrances à témoigner du Christ, avec au bout, pour la plupart, la peine capitale. Pas plus que les patriarches et les prophètes, ils n’avaient rien demandé les apôtres.
Et vous non plus. Et moi non plus. Nous n’avons rien demandé et Dieu pourtant nous envoie en mission. C’est à vous et c’est à moi en effet que s’adresse cet Évangile : « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Prenez seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie… et allez de demeure en demeure apporter votre témoignage et proclamer qu’il faut se convertir.
Allons-y ! D’autant que, si nous sommes ici, c’est que nous sommes conscients que ce monde à besoin de Dieu. Terriblement besoin de Dieu même. Alors, allons-y, de porte à porte ! Allons convertir les gens à cette urgence de se tourner vers Dieu, puisque c’est notre foi pour le monde.
La question qui se pose alors c’est : sommes-nous comme Abraham qui, sur sa foi, quitte tout pour aller là où Dieu lui dit d’aller ou sommes-nous comme Jonas, vraiment peu désireux et même très réticents à l’idée d’aller convertir la ville à notre religion de l’amour ?
On peut formuler la question autrement : pourquoi ne sommes-nous pas prompts à témoigner aujourd’hui du salut offert par le Christ ? Pourquoi, au contraire, témoignons-nous si peu de notre foi, sauf entre nous ?
Certes le monde aujourd’hui semble fort rejeter l’idée de religion et, pour certains même, l’idée de Dieu. Le monde autour de nous refuserait pour beaucoup, comme le dit l’Évangile, « de nous accueillir et de nous écouter », si nous allions leur parler de Dieu. Et nous serions légitimes à « partir et secouer la poussière de nos pieds ». C’est vrai, il y a peu de place pour la profondeur du discours religieux dans notre monde, qui aujourd’hui préfère vivre comme si Dieu n’existait pas.
Mais nos églises doivent-elles devenir, comme des citadelles assiégées, les derniers remparts où l’on parle encore de Dieu avec foi ? Entre nous, comme au sein d’ultimes oasis religieuses qu’un vaste désert spirituel viendrait ultimement menacer de désertification ?
Si nous venons ici confesser une religion de l’amour, et que nous pensons que ce qui manque aujourd’hui au monde, c’est précisément une religion de l’amour, alors nous devons témoigner publiquement de notre foi. Notre religion doit déborder le cadre de nos Églises, de nos familles, de nos réunions. Elle doit à nouveau rayonner sur le monde.
Mais, avant tout, le zèle missionnaire est porté par la proximité de la relation avec Dieu. C’est à mesure que notre cœur sera brûlant de la relation divine, à mesure que l’amour pour Dieu nous portera, que nous viendrons l’élan et la volonté d’en témoigner comme on témoigne volontiers de l’amour humain.
La crise actuelle n’est pas une crise de la foi ; elle est une crise de la spiritualité. Dans nos Églises, ni la foi ni l’espérance du salut n’ont disparu. Non, ce qui n’apparaît plus clairement du témoignage chrétien aujourd’hui, c’est l’amour pour Dieu.
Nous n’avons pas demandé à aller en mission – personne ne se donne spontanément un chemin parsemé d’embûches, de rejets voire de persécutions – mais le zèle pour la mission surgit du cœur brûlant de la relation avec Dieu. N’est-ce pas ce qui, tous ensemble, en tant qu’Église, nous manque ?
Viens, Seigneur, réchauffer le cœur de ton Église. Amen.
— Fr. Laurent Mathelot OP