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Photo du rédacteurFr. Laurent Mathelot, o.p.

Christ Roi de l'Univers

Évangile de Matthieu (Mt 25, 36-41)



L’amour roi



Il y a un parcours au fil des lectures d’aujourd’hui. La première, du Livre d’Ézékiel (Ez 34, 11-12.15-17), nous parle de Dieu comme d’un berger qui se préoccupe soigneusement de ses brebis. Le psaume, comme toujours, chante la réponse du peuple : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure » (Ps 22, 4). Paul explique ensuite aux Corinthiens (1 Co 15, 20-26.28) en quoi consiste la royauté du Christ. Enfin, dans l’Évangile (Mt 25, 31-46), Jésus décrit le jugement dernier.


C’est aujourd’hui la fête du Christ Roi et les lectures nous proposent ainsi un parcours qui explique cette royauté.


Dans la très belle image qu’en donne Ézéchiel, Dieu est un berger qui rassemble, soigne et protège ses brebis dispersées par l’orage. Et c’est une première définition de la royauté. Gouverner c’est avant tout rassembler, prendre soin et protéger. C’est le cas des parents, c’est le cas des responsables de communautés, c’est le cas de toute responsabilité de gouvernement – y compris celle que nous avons de diriger notre propre existence. Avant toute chose, gouverner c’est rassembler, soigner, protéger.


Deuxième étape de ce parcours : la réponse du peuple. Le Livre des Psaumes est en effet avant tout un livre de prières, un livre de lamentations, de demandes et de louanges. C’est, à mon sens, le livre le plus spirituellement humain de la Bible, qui offre un éventail très large de toutes les manières de s’adresser à Dieu, avec parfois des passages violents que la liturgie peine à chanter. Ici le psaume chante l’apaisement du peuple qui se laisse guider par Dieu au milieu des épreuves. Et c’est la seconde obligation d’un bon gouvernement, écouter ceux que l’on gouverne, écouter autant leurs plaintes, aussi violentes soient-elles, que leurs louanges. De même, dans le gouvernement de soi, il importe aussi de s’écouter, d’entendre et d’intégrer ses propres cris comme ses propres joies. Après la prévenance, l’écoute est l’essence d’un bon gouvernement.


Paul, ensuite, nous explique la royauté du Christ. Il est celui chargé de conduite l’humanité à Dieu. Il est le berger prévenant, à l’écoute de ses brebis dispersées par l’orage. Et on comprend avec Paul que l’orage est spirituel. Le gouvernement du Christ consiste à prendre le pouvoir sur les forces maléfiques qui parfois nous assaillent, jusqu’à dominer la mort même. Laisser le pouvoir au Christ dans nos vies, c’est le laisser combattre pour nous, tout ce qui, petit à petit, nous tue spirituellement. Le combat spirituel est ainsi avant tout un combat contre les élans mortifères qui nous assaillent : mépris, désespérances voire désamour de nous-mêmes, des autres ou de Dieu.


Enfin, dans l’Évangile, Jésus expose la fin de ce processus de gouvernement, quand sa mission sera accomplie et qu’il dominera sur toutes les forces maléfiques qui assaillent l’humanité. Quand nous serons libérés de tout mal, nous n’aurons plus aucune excuse, nous apparaîtrons tels que nous sommes, pleinement capables d’exercer notre liberté d’aimer. C’est alors qu’on nous verra tels quels, soucieux ou pas de nourrir l’affamé, de vêtir le dévêtu, d’accueillir fraternellement l’étranger, le prisonnier ou le malade. Le dernier acte de gouvernement du Christ – le jugement dernier – ne sera pas un tribunal qui évaluera, comme sur une balance, nos bonnes et nos mauvaises actions. Le jugement final du Christ, quand il aura éloigné de nous toute menace, sera simplement un regard posé sur l’éclat restant de notre cœur.


Par le baptême, nous sommes tous devenus prêtres, prophètes et rois. Prêtres, dans le sens où chaque chrétien est appelé à offrir des sacrifices pour Dieu. S’il y a des prêtres désignés pour mener le culte commun, nous sommes tous les intendants de notre prière et des sacrifices que nous consentons. Nous sommes aussi des prophètes dans le sens où l’Esprit-Saint que nous avons reçu à notre baptême nous permet d’incarner dans notre vie les signes du règne de Dieu et, d’ainsi, d’entrevoir plus clairement l’avenir. Nous sommes rois enfin, parce la primauté du Christ ne nous prive en rien de notre liberté d’agir. À la suite du Christ, nous sommes appelés à gouverner nos vies, à gouverner notre époque. Il y a dans le christianisme une totale subsidiarité, Dieu n’agit que dans le cadre de notre liberté.


Résumons-nous. Vivre à la suite du Christ, c’est gouverner nos vies à sa manière. Être d’abord soucieux de rassembler, protéger et apaiser tous ceux que le mal disperse, à commencer par nous-mêmes. Pour cela, il s’agit d’être à l’écoute des suppliques qui nous sont adressées, savoir entendre les cris comme les louanges. Enfin, il convient de mener aussi un combat spirituel contre les forces du mal.


Ce combat, nous pouvons choisir de le mener seuls, de lutter seuls contre les démons qui nous assaillent ou assaillent notre entourage : découragements, dépressions, désamours de la vie, de soi, des autres voire de Dieu. Dieu nous laisse libre d’agir et d’agir seuls. Mais la lucidité est de dire que parfois nos maux nous emportent et, avec eux, notre liberté. Enfin, l’humilité nous oblige à reconnaître que nous ne viendrons jamais seuls à bout de tous les maux ni de la mort.


Célébrer la royauté du Christ, pour clôturer l’année liturgique, c’est finalement reconnaître deux choses : que nous avons universellement besoin du Christ pour nous délivrer de l’emprise du mal et de la mort, mais qu’avec cette libération, nous échoit le devoir de bien nous gouverner nous-mêmes.


Si nous croyons que le Christ triomphera finalement de tout mal, nous affirmons donc qu’à la fin des temps, il ne restera plus de nous-même que le bien, l’amour que nous avons incarné. C’est d’un seul regard posé sur la générosité de notre cœur que le Christ nous jugera finalement dignes d’entrer dans son Royaume.


C’est alors qu’il dira : « ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’ »


— Fr. Laurent Mathelot, OP




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