Évangile selon saint Matthieu (10, 26-33)
On vit, on parle !
« Silence, on tourne… » ! L’injonction est classique sur tous les plateaux : lorsque les acteurs entrent en scène, l’entourage leur doit de se taire. Lorsque se joue la vie, le silence est de rigueur.
« Silence, on tourne… » ! Dans nos sociétés, le décret, s’il n’est ni public ni énoncé, ne règlerait-il pas, de fait, une manière de se situer, une façon d’être chrétien aujourd’hui. Ayant perdu un certain rôle social, les chrétiens ne s’imposent-ils pas le silence ? La vie chrétienne ne se réfugie-t-elle pas dans la sphère de la vie privée et l’adhésion ne passe-t-elle pas par une adhésion du cœur en délaissant la médiation des comportements sociaux ?
« Silence, on tourne… » ! La liturgie – qui est prière publique, une action du peuple chrétien -, la liturgie aujourd’hui prend le contre-pied de cette manière d’être chrétien : « on vit, on parle ! Elle nous provoque à prendre la parole et juge notre engagement au risque du témoignage.
« Silence, on laisse tourner… » ! C’était l’attitude des disciples du Nazaréen depuis le drame du Golgotha. Leur tragique désappointement les enfermait dans leur cénacle clos : portes et fenêtres verrouillées, ils croyaient devoir se contenter de souvenirs entretenus vaille que vaille : le Maître vivrait symboliquement dans leur mémoire intime. Mais l’Esprit du Ressuscité les jette dehors pour que la parole retentisse comme une Bonne Nouvelle de salut destinée au monde entier : « Ce que je vous ai dit, dites-le au grand jour » ! La foi en la résurrection est synonyme de l’explosion d’une parole qui n’est pas à usage interne d’un groupe de disciples nostalgiques. La Pentecôte s’expérimente en ouvrant portes et fenêtres.
Foi est synonyme de mission et de témoignage. « Il vit, on parle » ! La naissance de l’Église s’identifie avec la sortie des disciples devenus apôtres : il n’y a d’Église que plongée dans le monde : « On vit, on parle » !
La Parole de Dieu, comme toute parole vivante, ne peut exister aseptisée : il n’y a de parole que si elle est proférée et donc risquée.
La Parole de Dieu doit être risquée dans des mots et des comportements d’hommes. Nous pensions préserver la Parole en l’enserrant et voici que, sous peine de la renier, il faut la semer à tous vents. Nous pensions nous contenter de formules dévitalisées par les siècles, mais il nous fait réinventer les mots qui disent Dieu et aller porter témoignage devant les hommes, sous peine de rendre stérile la confession de notre foi !
Parce que les hommes évoluent dans leur manière de vivre, il nous faut trouver des paroles fraîches pour annoncer Dieu ! la vie selon l’Évangile ne peut s’enliser dans des habitudes reçues ; elle n’existe que dans l’inlassable recherche d’une existence qui donne corps à la vérité.
« Il vit, on parle » ! L’Église n’est Église du Ressuscité que si elle ouvre, largement, les fenêtres et les portes pour démultiplier, - ressusciter -, la parole entendue, reçue et accueillie.
On parle ! L’Église n’est pas l’Église lorsqu’elle se modèle sur la pensée courante, lorsqu’elle dit ce que tout le monde dit. L’Église du Ressuscité atteste d’une parole qui est sel qui pique, feu qui brûle et scandale qui provoque.
L’Église ne fait plus question lorsqu’elle condamne et juge au lieu d’annoncer le pardon et l’espérance au risque de choquer, même les siens qui font d’elle la gardienne de la morale.
Elle se doit d’ouvrir les portes du Christ rédempteur et d’annoncer un Évangile de miséricorde.
L’Église du Ressuscité ne met pas sa confiance dans les moyens de pression ou, de puissance, elle est porte-parole d’une parole évangélique qui a la force de la confiance en la bonté de l’homme.
« On vit, on parle » ! Le lieu d’existence de l’Église, c’est le monde ! L’Église n’a de corps que lorsqu’elle prend à bras le corps le silence des sans-voix, les revendications des désespérés, les blessures des écorchés de la vie. Elle ne sera l’Église des Béatitudes qu’en relevant ceux qui pleurent, qu’en luttant avec ceux qui défendent la justice. Elle ne sera l’Église de Pâques qu’en se mettant résolument du côté de ceux qui s’essayent à balbutier quelques mots de tendresse.
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps… »
Les hommes pensaient avoir jugulé la Parole en la clouant au gibet de la dérision : « silence, on tourne » ! On pouvait répéter ce qu’on avait toujours dit, se contenter des habitudes séculaires.
« Mais ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer l’âme » !
Au matin de Pâques, la Parole a été ressuscitée. Elle a provoqué des hommes et des femmes à ouvrir les fenêtres de leur cénacle sur le monde des hommes : parce qu’ils ont entendu l’appel qui les relève, le « N’ayez pas peur » qui les ressuscite, ils peuvent annoncer aux hommes, leurs frères, « N’ayez pas peur, ouvrez-vous à la vie de votre Rédempteur ».
Michel Teheux