Nuit de Noël — 24 décembre 2024
Évangile selon saint Luc 2, 1-14
La nuit s’étendait sur la terre, l’histoire des hommes tournait en rond.
Dans la nuit des temps, dans le déroulement sans nouveauté, une lueur et un cri.
Lueur d’un ciel où une multitude d’anges chante la gloire de Dieu, cri d’un nouveau-né qui annonce la naissance de l’homme.
« La voici la nuit de Dieu, brûlante comme un feu’ »
Car la nuit des hommes est devenue celle de Dieu
et l’histoire qui se déroulait sans avenir a donné chair à la promesse.
Nuit des hommes qui devient par la grâce de Dieu nuit d’espérance.
Dans nos certitudes surgit la joyeuse annonce.
Dans nos avenirs sans lendemain surgit la nouveauté de l’événement.
« Il vous est né un Sauveur’ ! La voici la nuit où s’incarne le projet éternel de Dieu.
Nuit où Dieu donne chair à son désir secret, nuit où Dieu se montre à découvert, à visage nu,
Nuit où Dieu fait paraître au grand jour ses envies et ses rêves.
Car depuis toujours Dieu s’était pris de passion pour l’homme.
Infiniment passionné, comme tous les amoureux, Dieu s’est mis à vouloir parler le langage de l’être aimé, à se fait son conjoint, à nouer avec lui une alliance tissée de tendresse et d’affection.
Cette nuit, Dieu nous montre ce qu’il a dans le cœur, il révèle au grand jour ses sentiments et sa raison de vivre. Comme tous les amoureux, Dieu ne vit plus sans celui qu’il aime et Dieu n’a pas peur cette nuit de faire étalage de sa passion : Dieu dit à la face du monde qu’il veut faire vie commune avec l’homme.
Cette nuit, Dieu se met en ménage.
Non pas parce qu’«il faut bien », mais parce que c’est le mouvement même de l’amour qui est en Dieu.
Non pas pour réparer les pots cassés et arracher l’homme au pouvoir du péché d’Adam, mais bien pour dire aux hommes quelle passion le brûle depuis toujours.
L’histoire des hommes s’écrit au jour le jour.
Quotidien des larmes et des rires, des souffrances et des tragédies, des armistices provisoires et des conquêtes de la justice, des recherches de vérités et des quêtes de sens, des mensonges et des compromissions.
Flux et reflux d’une humanisation qui reste un combat contre les forces qui aliènent, qui déchirent, avilissent ou détruisent le peu d’hommes qu’il y a en l’homme.
Flux et reflux de nos victoires et de nos déchéances, de nos avancées été de nos reculades, de nos compromis et de nos compromissions lorsque sont en jeu plus de justice, plus de solidarités, plus de respect de nos environnements, plus d’humanité pour que la terre soit un plus humaine.
Flux et reflux traversé, heureusement, par des cris qui réveillent nos consciences, par la provocation de prophètes qui ouvrent des brèches dans les murailles de la désinvolture, de l’indifférence, des égoïsmes et des replis identitaires.
Flux et reflux illuminés par des gestes de solidarité, des vies offertes, des audaces qui déchirent le train-train de fallacieuses évidences.
Là, dans ce flux, dans ces histoires difficilement humaines, un cri qui veut traverser les siècles, bouleverser le sempiternel recommencement de cette litanie de victoires et de déchéances, le cri d’une naissance.
Pétri de la même chair, reconnu comme un homme, homme parmi les hommes, un Enfant, au milieu des hommes, dit Dieu. Né des hommes, pour que les hommes sachent qu’ils sont nés de Dieu.
Pour qu’ils apprennent que leur être homme doit être à la mesure de Dieu !
Et ce cri de Bethléem se répercute en résonnances multiples dans tous ces cris qui dénoncent les oppressions, dans tous ces vagissements qui enfante un peu d’humanité.
Grande révolution de Noël : Noël n’est pas une fête romantique et éphémère, Noël n’est pas une jolie historette de pastoureaux aux chapeaux bretons et qui sentent si peu l’étable et le muse des brebis ! Noël est une fête révolutionnaire ! Noël n’est pas à raconter, mais à faire !
Il nous est annoncé que Dieu se marie avec notre humanité pour que nous élevions notre humanité à la mesure du rêve de Dieu.
Alors, en cette nuit, montent sur nos lèvres les mots maladroits de nos consentements : nous nous abandonnons à celui qui a pour nous une telle passion. Contemplant un tel mystère, nous balbutions l’assentiment de notre peu de foi : nous reconnaissons que nous sommes jugés capables de donner chair au fruit de l’amour de Dieu ; nous confessions que, par grâce, nous sommes dignes de faire alliance avec Dieu, d’être partenaires de Dieu et que si nous manquions à Dieu, il lui manquerait quelque chose.
Et, dans le même temps, nous acceptons l’impératif devoir de faire chaque jour Noël.
Pour que Noël soit vraiment Noël !
Michel Teheux